5 juin 1841, San Phoenix, Obsidian Kingdom, Elvendyr.
On ne peut pas dire que la fibre paternelle, chez Absolem, soit le couteau le plus aiguisé du tiroir. C’en est si loin du compte. Sa vie ne tourne qu’autour du triple « B » ; blues, booze & bitches. Neuf mois plus tôt, Andras lui annonçait que sa chère et tendre sœur avait une brioche au four et l’unique réaction sensée que le Dieu Soleil a eue pour le congratuler d’une telle bombe atomique lancée au sein de la famille ; c’aura été de lui balancer et avec une superbe sans pareille une mandale qu’aujourd’hui encore tous les deux se souviennent… principalement l’arcade sourcilière de son beau-frère. Il n’est pas violent, Abe'… juste… for god sake… on n’engrosse pas la frangine ! On. N’engrosse. Pas. La. Frangine. Nope.
- Tu nous fais quoi, là, Abe’ ?! que s’étonne Heidi, les yeux aussi ronds que des balles alors qu’elle se rapproche de son concubin avec le petit air désappointé de cette madone de mère qui se désole du comportement autistique de ce fils qu’elle aura bercé un peu trop près du mur.
L’intéressé se fige, lève les yeux au ciel et paresseusement volteface sur la bienséance de son épouse :
- C’est la cravate, c’est ça ? Pour une visite à la pouponnière, c’est trop ?
- Le cigare, Absolem.
- Comment… le cigare ? Qu’est-ce qu’il a… ce cigare ? C’est un cadeau. Un étendard. L’oriflamme de ce calumet de la paix que je voudrais fumer avec mon beau-frère. Il est où le drame ?
- Tu es à la tête d’une usine pharmaceutique et c’est moi qui dois te faire le speech sur les effets de la fumée secondaire ? Nous allons à la pouponnière, pas dans un fumoir, mon chéri, qu’elle persifle, pas rageuse pour deux sous, se contentant d’effleurer tendrement les contours de sa mâchoire du revers de ses longs doigts de pianiste, l’ombre d’un sourire complice planant nonchalamment là sur la commissure de ses lippes : Tu ne comprends peut-être pas les desseins et motivations de ta sœur, Abe, mais la venue au monde de ce bébé---
- Et si elle ne m’aimait pas ? Et si elle se met à pleurer au moment où je l’ai dans mes bras ?
- Abe', relaxe. T’es pas son père. T’es son oncle. Ça va bien se passer...
• • •
Sa vie, à Absolem, elle ne tourne qu’autour du triple « B ». Blues. Booze. Bébé. Et pas n’importe quel chérubin. Silena. Sa nièce. Ce petit bébé potelé aux petits doigts boudinés et aux belles bajoues rosies qui depuis l'instant où, pour la première fois, tout maladroit et bancale, il a serré son chaud petit corps de crevette tout contre son impérial poitrail de nounours s’est taillé une place de choix dans son palpitant de nacre et d’abîme. Sa connasse d’ex épouse s’est fourré un doigt dans l’œil et jusqu’au coude ; plus que de raison, plus qu’il ne le devrait, sa fibre paternelle s’est aiguisée à la fine soie rasoir d’une épée de Damoclès qu’Absolem, jamais dans cent ans, n’anticipait d’un jour voir être suspendu au-dessus de sa tête… et le panaché milliardaire adore ça !
Il l’aime, Silena.
Et il aime aussi la compagnie de ces belles et charmantes amies. Sa nièce est une jeune femme de tête et de bon goût. Il n’y a pas à dire. Ses amies, bien qu’un peu tartes et bimbos, ne sont point vilaines… m’enfin si elles le sont, mais dans le sens gredin et plus que positif du terme. If you know what I mean.
Il lui arrive parfois de s’essouffler et de naviguer en les eaux sirupeux de cette blonde naïve aux beaux yeux de Bambi qui sa foi peut et bien loin partir en vadrouille une fois le septième ciel atteint :
- Elle m’inquiète, tonton Absolem. J’veux dire… elle ne pense qu’au boulot et à son noble devoir d’héritière. Elle a oublié mon anniversaire. Tu te rends compte ? Qui oublie mon anniversaire, Abe ?!
L’interpellé ci-présent serait une réponse adéquate et propice à sa question. Seulement Absolem s’en contrefiche comme la tombée de sa première dent de lait. Ce qui l’intéresse, se sont les mœurs et états d’âme de sa nièce ; Andras lui fout une pression de malade mentale. Il est non seulement en train de la perdre, il ne lui a non seulement arraché sa jeunesse ; mais il est en train d’en faire une copie carbone de sa sœur et ça le Dieu Soleil déteste. Royalement. Et ses petites antennes de tonton cool chillax commencent peu à peu à palpiter et s’ébrouer.
Y’a anguille sous roche. Y’a comme une odeur de particule de caca qu’il n’apprécie pas beaucoup. Absolem doit aller tâter la chose… pour en avoir le cœur net et précis. Ew… de chose, on parle de situation, hin… pas de caca… just so you know.