Partagée entre le rire et l'exaspération, Riley se contente de lever les yeux au ciel. Un café dans une main, elle utilise l'autre pour naviguer sur facebook. Elle a une sainte horreur des réseaux sociaux mais une présence sur ceux-ci est devenue indispensable pour écouler ses romans en format numérique. Elle ne compte sur l'appuie d'aucune maison d'édition mais au vu du marché actuel, ce n'est pas un problème. La médisance n'est pas dans ses habitudes mais quand elle lit les reproches sur son roman, elle ne peut s'empêcher de lâcher un petit rire dédaigneux. Son héroïne, mariée, a le malheur d'entretenir une liaison et voilà que les lectrices s'offusquent. Par contre, les romances avec le syndrome de Stockholm, ça passe sans soucis et ça écoulent des millions d'exemplaires. Une chance pour elle, elle n'écrit des romances que par intermittence, car c'est ce qui s'écrit vite et qui se vend le plus facilement.

— Intrigue trop compliquée pour moi, qu'elle lit à voix basse en imitant une voix de crécelle et en grimaçant. En même temps, c'est une romance à suspens, bécasse. Pas du Twilight.

Sa patience atteint ses limites et Riley éteint son ordinateur. Inutile de s'attarder plus longtemps, la quarantenaire doit de toute façon rentrer chez elle pour enregistrer un podcast. D'une traite, elle termine le fond de son café et range l'ensemble de ses affaires. La foule commence à pointer le bout de son nez et très vite, une queue commence à se former en caisse. Ce n'est pas pour rien que la franco-américaine se rend au Ihealthy dès l'ouverture. C'est justement pour s'épargner ce trop plein de monde qui manque à chaque fois de la faire frôler la syncope. Elle déteste la foule. Surtout de bon matin.

Riley et sa mauvaise humeur générée par ses ovaires douloureux se dirigent vers la sortie. En dépit de son envie de cogner tout le monde, elle arbore un sourire timide lorsqu'elle doit se faufiler entre deux clients pour atteindre l'entrée mais aussitôt le grand rouquin contourné qu'elle se fige. Elle cligne des paupières plusieurs fois sauf que non, ce n'est en rien une hallucination. Le monde est petit mais à ce point? Au loin, mais un lointain trop proche, elle voit la silhouette de Phoebe Parker approcher. Une connaissance de New York. Pourquoi? Pourquoi était-elle ici, à Revealdown? Pas le temps de se poser la question! Pas le temps de réfléchir! Riley panique. Une sueur froide recouvre le derme de sa peau et dans son envie de prendre la fuite, elle bifurque vers sa gauche telle une vraie furie. Ce qu'elle n'a malheureusement pas prévu, c'est le seau, posé là avec négligence. Dans sa tentative d'escapade, la quarantenaire se casse la binette de tout son long, renversant au passage le seau et tout son contenu, rependant ainsi une eau savonneuse partout.

Riley & Phoebe

« Fear is a phoenix. You can watch it burn a thousand times and still it will return. » Six of Crows

Sortant de mon entrevue pour le moins épineuse et pleines de rebondissements avec Carpenter, je roulais directement jusqu'au iHealthy. J'avais besoin d'un bon jus à base de betterave, de fenouil, de citron vert et de gingembre. Allez savoir pourquoi ce tordu ne m'a pas virée de son bureau dans la seconde après que je l'ai accusé de harcèlement sexuel... ce qui, pour rappel, était la vérité pure et dure... Étrange. Et le plus dingue, c'est que j'ai quand même eus le job !
Je vais retravailler pour Garrett Carpenter.
Mon nom va de nouveau être associé à ce type.
Je reniflais avec dédains. Je n'étais pas certaine d'apprécier ce retour en arrière. J'avais déjà bossé pour lui à New York, mais au moins... il ne restait qu'un mythe. Le grand manitou derrière le bulletin de paye. La Une des journaux à scandale.
Mais après tout, pourquoi pas ? Il payait bien, et je pourrais toujours m'extirper de ses griffes si l'envie ou le besoin s'en fait ressentir. Je pourrais foutre le feu à son hôtel ! ... Ouais... ça, c'est une idée qui me plaît bien !
Mes idées pyromanes toujours en tête, j'arrivais à destination, déjà plus détendue. Imaginer foutre un bâtiment en feu est déjà particulièrement salvateur... imaginer foutre réellement le feu !
Je n'étais même pas encore arrivée à la boutique qu'une catastrophe se produisait déjà. Une femme brune venait de s'étaler de tout son long par terre, devenant la serpillière ambulante de l'établissement. Hm. J'espère au moins qu'il la payeront pour avoir fait le nettoyage...
Je n'avais pas prévu de faire grand cas de cet incident. En même temps, si vous saviez à quel point je m'en tamponne de la vie des gens ! Ils existent. C'est déjà de trop. Ils sont chiants.
Servez moi mon jus de légumes, s'il vous plaît, merci.
Je n'avais pas prévu d'en faire grand cas jusqu'à ce que quelqu'un se précipite pour l'aider en même temps que je franchissais le seuil de l'établissement et que je ne découvre accidentellement son visage.
Je dis accidentellement parce que, soyons franc... vous me connaissez... je ne suis pas du genre à m'intéresser intentionnellement à un humain. Ou à une loque humaine. Non, accidentellement parce que la vision périphérique fait bien son oeuvre.
Les sourcils froncés, je tournais la tête brusquement vers la brunette, plantant mon regard dans le sien, incapable de cacher ma surprise.
-...Professeur Ziegler ?

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Son ordinateur! Merde! Non! Phoebe! Mais son ordinateur, est-il cassé? Riley ne sait plus où donner de la tête. Trop d'informations à assimiler en l'espace de quelques secondes seulement. Le cul par terre et trempée, elle se couvre de honte mais dans l'immédiat, ça lui importe peu. Elle ressent l'envie d'ouvrir l'intérieur de son sac pour examiner l'état de son HP mais la porte d'entrée s'ouvre déjà sur la silhouette de Phoebe. Pourquoi?! Pourquoi un enchaînement de merde pareil? C'est probablement une histoire de karma. Voilà ce qu'elle gagne à pester contre les lectrices de roman! Paniquée, elle garde son popotin sur le sol comme un animal qui se fige devant les phares d'une voiture fonçant droit devant. La voiture vous vous en doutez... c'est Phoebe! Une belle lamborghini... mais on s'égare! Une âme charitable aide la quarantenaire à se relever et l'espace d'un instant, oui, l'espace d'un instant le soulagement commence à naître dans son petit coeur prêt à imploser. La brune ne semble pas s'intéresser à ce qui se passe. Elle gratifie le grand rouquin d'un sourire gêné mais le drame arrive!

Phoebe tourne subitement sa tête vers Riley. Le palpitant de la franco-américaine s'emballe. Il tambourine avec force, menaçant de traverser sa carcasse de chair pour s'échouer entre les mains de son ancienne étudiante. Il y'a beaucoup trop de monde. Tous les regards sont braqués sur la miss catastrophe... Riley panique. Vraiment... et quand on panique, on agit de manière stupide. Au moment où Phoebe ouvre la bouche pour parler, Riley ouvre également la sienne.

— Lààààààààààà! Lààààààààà là là lààààààà! Là...

Elle chantonne fort et tiens ses notes afin de recouvrir la voix de Mademoiselle Parker. Personne, absolument personne ne doit connaître son véritable nom au sein de cette ville. Alors oui, elle a l'air d'une illuminée mais mieux vaut ça que d'être percée à jour. Un sourire gêné s'esquisse sur son visage devenu cramoisie de honte. Les gens proches de sa petite personne s'éloignent ou pouffent de rire. Dans les deux cas, la quarantenaire s'en moque... même si maintenant elle paraît louche. Maintenant, impossible pour elle de prétendre être le sosie russe de Raegan... Elle aurait du y penser avant. D'une manière ou d'une autre, elle devoir mentir ou acheter le silence de son ancienne étudiante.  

— Je... hum...

D'ordinaire, Riley est meilleure menteuse mais là... ses neurones fonctionnent tout croche. Elle regarde un instant le pauvre employé qui passe la serpillière à cause d'elle avant de reporter son attention sur Phoebe. Les clients ont fini par se désintéresser par l'illuminée de service, trop désireux d'être servis le plus rapidement possible.

— C'est surprenant de se retrouver ici, n'est-ce pas?

Sérieusement? C'est la seule chose qu'elle trouve à dire après son petit numéro. Les mots lui manquent. Elle n'a pas la moindre idée de la manière de rattraper le coup. Son cerveau est gelé.

Riley & Phoebe

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Raegan Ziegler était une professeur remplaçante à la Tisch School of Arts. Elle avait assuré pendant trois mois les cours de chant de notre professeur, qui était partie en congé maternité. Entre nous soit dit, elle aurait mieux fait d'y rester...
Le professeur Ziegler était une assez bonne enseignante. Le genre à transformer la salle de classe en Glee Club et à se mettre à pousser la chansonnette avec ses étudiants. Je me souviens avoir apprécié les cours avec elle, à l'époque.
Je ne m'attendais pas à la revoir, encore moins à RevealDown. C'est vrai, après tout, on recroise rarement ses enseignants, encore moins les remplaçants ! Mais à peine eus-je le temps de prononcer son nom que mon ancienne professeur se mit à fredonner aussi fort que possible.
-Lààààààààààà! Lààààààààà là là lààààààà! Là...
Si j'étais du genre parano, j'aurais pu croire qu'elle ne voulait pas que je mentionne son nom à voix haute. Ça tombe bien, je suis parano.
Ou alors, elle a pété un fusible. C'est possible aussi. Dans tous les cas, sa piètre tentative de me couper la parole lui vaut de se faire remarquer par tous les clients du café. Certains la regardent de travers, d'autres se mettent à rire. Le visage de Raegan vire au rouge, mais ses yeux racontent une autre histoire. Ses yeux montre qu'elle n'en a rien à faire. Comme si elle préférait ça à... autre chose ?
-Je... hum... C'est surprenant de se retrouver ici, n'est-ce pas?
Je haussais un sourcil. Après un tel numéro il n'y a pas deux secondes, je me serais attendue à me faire empoigner, tirer hors de la boutique en quatrième vitesse pour un semblant d'explication. Mais non... C'est surprenant de se retrouver ici... Pour être une accro inconditionnelle à la série Gilmore Girls, je peux vous dire qu'il n'y a qu'une seule phrase en ce monde capable de résumer l'entièreté de cette situation !
-Ouille, qu'est-ce qu'il est poilu pour son âge...
Je m'explique : Lorelaï avait réalisé que les mots ouille et poilu étaient les mots le plus drôle de notre langue, créant ainsi une phrase rigolote du style ouille, qu'est-ce qu'il est poilu pour son âge, une phrase clé à utiliser en circonstance adéquate comme celle que nous vivons présentement.
Autrement dit en moment tendu, gênant, ayant besoin de souffler un bon coup.

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Peut-être que la folie est contagieuse. Peut-être que son cerveau a réellement grillé. Peut-être qu'elle se trouve en pleine simulation et que la big machine montre enfin ses failles. Dans l'incompréhension la plus totale, Riley fixe bêtement Phoebe, ses cils papillonnant à un rythme frénétique. Ouille, qu'est-ce qu'il est poilu pour son âge... cette phrase hors contexte et improbable sonne néanmoins comme un écho lointain. Malgré elle, elle y ressent comme un réconfort, un doudou. La mémoire est une chose des plus complexes et après plusieurs secondes à regarder silencieusement son ancienne élève, la référence lui revient. Aussitôt, la (presque) quarantenaire lâche un rire, bien que toujours nerveuse par la situation. Pouvait-elle simplement lui souhaiter une bonne journée et partir? Non. La réponse est non pour plusieurs raisons. La crainte qu'elle ne soit pas ici par hasard l'angoisse. Son mari est un vil manipulateur, un sociopathe prêt à tout. Il aurait très bien pu retrouver Phoebe et lui demander de l'espionner contre de l'argent? Non. Non. Cela ne tient pas debout. Elle a quitté New-York bien avant Riley.

— Je pense que je vous dois quelques explications, n'est-ce pas?

Doit-elle lui dire la vérité? Là encore elle en doute mais elle ne peut pas en rester là. Si Phoebe parle d'elle comme étant la professeur Ziegler Raegan alors c'est foutu. Oh elle ne doute en rien de l'intelligence de Phoebe. Cette dernière a du comprendre qu'un truc cloche et c'est peut-être ça le plus inquiétant, finalement. La franco-américaine frémit quelque peu, frigorifié par ses habits trempés... étrangement, ça lui rappel une certaine mésaventure.

— Vous en pensez quoi si je vous attend à une table pendant que vous commandez? Comme ça on pourra discuter un peu. Je suis certaine que nous avons beaucoup à nous dire.

Cette fois, c'est un sourire bienveillant qui étire ses lèvres. En dépit de ses angoisses et de sa paranoïa, elle désire réellement prendre des nouvelles de son ancienne élève. Riley a toujours cru au potentiel de Phoebe. Elle la trouve si douée et brillante que la retrouver à Revealdown est un choc. Elle l'imaginait sur les planches de Broadway.

Riley & Phoebe

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La vérité c'est qu'il est toujours étrange de retrouver des gens de son passé, en particulier lorsque l'on a changé de ville. Et j'avoue que, pour une seule et même journée, tomber sur son ancienne prof remplaçante juste après avoir eut un entretien avec son ancien boss, ça fait beaucoup niveau coïncidence.
Mais je ne comprenais pas la réaction de Ziegler. Concrètement, on aurait pu s'en tenir à des banalités. Bonjour, comment ça va, comment va la vie, ravie de vous avoir revu, merci, au revoir. Aller hop, emballé, c'est pesé !
Mais quelque chose clochait. Elle avait une lueur dans le regard, comme un animal acculé, apeuré car il sait qu'il ne pourra échapper au sort qui l'attend. Je n'ai pourtant pas le souvenir de lui avoir cassé les côtes et fais remonter son estomac dans sa gorge... Qu'est-ce que je loupe ?
Ma parodie de Gilmore Girls fonctionne, Ziegler lâche un rire, même s'il sonne faux.
-Je pense que je vous dois quelques explications, n'est-ce pas?
Elle fuit quelque chose.
On parlait de passé tout à l'heure. New York, dans mon cas. Dans notre cas à toutes les deux. Fuirait-elle tout ce qui la lie à cette ville ?
-Vous ne me devez rien. On s'est croisée, on s'est reconnue. « C'est surprenant de se retrouver ici », récitais-je en prenant une voix différente et en la désignant de la main pour faire comprendre que c'était sa réplique, « Oui, le monde est petit ! », m'auto-répondis-je en me désignant cette fois. « Je suis ravie de vous avoir revu, professeur » ; « Moi également, Phoebe » - nouveau changement de voix, nouvelle réplique qu'aurait pu débiter Ziegler. « Bonne journée » ; « Merci, à vous aussi, au revoir ». BAM, la vie reprend son cours !
Est-ce que j'essaye de la rassurer ? Mouais. Disons qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat.
...J'aime pas cette expression.
Correction : il n'y a pas de quoi fouetter un humain.
De base, je ne m'intéresse pas à la vie des gens. Ça ne sert à rien, c'est inutile, et de toute manière, la race humaine n'en vaut pas la peine. Paradoxalement, si je vois quelqu'un se faire agresser, ou hurler à la mort, je vais venir mettre mon nez dans ses affaires. C'est un peu du coup double : je n'aime pas l'injustice, donc je rends service - ieurk, quel horrible mot dégoulinant - et j'assouvis mon côté psychopathe et assoiffé de sang. Oui, bon, ça fait peur dit comme ça, mais en vrai c'est rien du tout !
Pour en revenir à ce que je disais, je ne m'intéresse pas aux gens et à leur vie. Ziegler était une prof sympa, entre temps la vie a suivi son cours. Elle fuit quelque chose ? Okay. On a tous nos démons. Pour autant que j'en sache, elle a commit un meurtre et est recherchée dans 45 états.
-Vous en pensez quoi si je vous attend à une table pendant que vous commandez? Comme ça on pourra discuter un peu. Je suis certaine que nous avons beaucoup à nous dire.
Se passes de longues 30 secondes à la regarder droit dans les yeux avant de réagir. J'hoche finalement la tête et reprend ma place dans la file d'attente.
Elle veut parler. Une idée saugrenue, mais pas dénuée d'intérêt, dépendamment des informations. Ou alors c'est un piège. Après tout, l'idée n'est pas à exclure. On verra bien...
Lorsque mon tour arrive, je commande mon jus avec la plus forte dose de gingembre qui leur soit humainement possible de mettre à l'intérieur, et demande au passage ce que Ziegler avait commandé afin de reprendre la même chose. Les commandes en main, je vais m'asseoir en face de mon ancien professeur et pousse le café vers elle.
-De quoi vouliez-vous qu'on parle ?

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