Doux parfum de la rosée. Douce sensation sur ma peau. Je commençais à me souvenir de cet effet. 39 années venaient de s’écouler. Pourtant, sur la durée de ma vie, ce n’était qu’un grain de sable. C’était imberbe, rien de plus qu’un battement de cil… sauf que depuis ce repos forcé. Le monde avait changé. J’étais moi-même pris au piège de cette autre dimension – aucun moyen de rentrer à la maison. Je savais que Tharek avait été éliminé, je savais que nous avions échoués. Qu’était-il arrivé à Amara ? Réellement ? Parce que je savais qu’elle était prise au piège de son royaume… sauf que Nebula me disait-elle tout ? Je connaissais son allégeance à mon égard… mais je savais qu’elle connaissait mes antécédents avec la grande déesse du mal. La jalousie était parfois malsaine.

De ce monde que je n’avais pas choisi, je devais m’en accoutumer. J’errais, comme un fantôme sans réelle plaisir, ni passion. Je savais que je prenais possession de cette coquille que j’habitais uniquement lorsque mon hôte – Darren – trouvait sommeil… mais je ne savais pas quoi faire de mes dix doigts. Je déambulais à travers Revealdown, seul. J’appréciais la compagnie de Nebula, sauf que le soleil s’était levé et je savais qu’elle ne pouvait pas sortir. C’était une vampire.

Je venais de passer une partie de la nuit sur la plage et je me rendis jusqu’à un petit parc. Un homme passait en joggant, puis une femme avec son chien. J’incline la tête vers la gauche en dévisageant l’animal qui se mit à japper après moi. Que me voulait-il. « Oh pardonnez-moi, je ne sais pas ce qui lui prend… Rufus, arrête ! » Je ressentais la compassion chez cette femme, sauf que je ne comprenais pas pourquoi. « Vous devriez le faire taire… si vous ne voulez pas que je le fasse disparaître. » La femme me dévisage et tire aussitôt sur la laisse pour partir à la course. Je ne fis mine de rien, continuant ma route.

Créer du contenus. Toujours et encore. Qu'importe les aléas de la vie. Qu'importe que son monde soit sujet à une apocalypse de grande envergure. Qu'importe... Elle doit produire. Toujours et encore pour maintenir ses ventes. Pas de ventes, pas d'argents et sans argents... elle ne peut guère aller loin. Alors elle cherche l'inspiration, en vain. Ses deux prunelles demeurent rivées sur la vue imprenable qu'offre sa chambre d'hôtel. La mer et son sable fin. L'étendue d'un ciel à perte de vue. Une vision de rêve mais incapable d'évincer la terreur visée au fond de ses tripes. Alors elle inspire, résignée, et quitte ce lieu puant le luxe. Au final, qu'importe toute ces richesses, qu'importe ce haut standing dans lequel elle déambule, la peur demeure gravée Elle a bien conscience que ce ne sont pas des draps hors de prix et un tapis de bonne facture qui vont empêcher l'Horreur de frapper, de la frapper de plein fouet.  

Une fois dans les rues de Revealdown, la Terreur prend possession de son estomac, elle le noue encore et encore, donnant la sensation d'avoir un sac de plâtre dans le bide. Le moindre craquement, le moindre frôlement, manquent de déclencher chez elle une crise de panique. Lorsqu'elle entend un citadin marcher au pas de courses à ses arrières, elle retient sa respiration et attend des coups qui ne viennent finalement jamais.

C'est dans ce climat d'effroi constant qu'elle déambule jusqu'au Coffee Cup. Besoin de recharger les batteries. Besoin d'une source de chaleur pour calmer ce froid hivernal qui s'enroule autour de son palpitant. Le réconfort d'une source de chaleur. Une bulle de bien être à travers une odeur. Une fois son café à emporter en main, elle hume avec délice les effluves de sa boisson. L'espace d'un instant, bien que court, elle en a oublié sa fuite. Mais très vite, la vision d'une population inconnue déambulant à ses côtés l'étouffe. La foule la dérange. La foule l'effraie. Alors elle bifurque, elle cherche un endroit où se poser et c'est dans un parc qu'elle trouve son bonheur.

Son café toujours dans la main, elle prend le temps d'observer les personnes présentent dans le parc. Elle se surprend à imaginer leur vie, les raisons de leur présence en cet instant précis. La tête dans les nuages, partiellement déconnectée à la réalité, elle assiste à la scène d'un chien grognant sur un individu. Un événement en soit anodin bien que les paroles de l'inconnu l'effare.

— Quel sale c*n, qu'elle s'indigne à haute voix.

Parfois elle oublie de se taire comme en cet instant. Parfois ça ne lui valait qu'une gifle. Parfois beaucoup plus. La seconde suivant ses paroles, elle rebranche son cerveau et réalise que sa pensée a franchit la barrière de ses lèvres. Alors elle ouvre la bouche pour rattraper son étourderie dans l'espoir de ne pas s'attirer les foudres de cet homme imbuvable. Parce que sérieusement, quel type d'homme faut-il être pour ne pas aimer les chiens? Même son mari les aimait.

— Pas vous.

Si si, cet homme était bien la cible de son insulte mais elle affiche un sourire chaleureux pour alimenter le mensonge.

— Le vendeur de café. Il a mit du lait de vache alors que j'ai demandé du lait d'avoine. C'est rageant, vous comprenez.

On dirait que plus que les journées avançaient et moins que je m’habituais à cet autre univers. Je pouvais avoir dormi durant plus de 39 années, mais je ne me sentais toujours pas à ma place. J’avais manqué tellement de chose et de ne pas pouvoir rentrer à Elvendyr, retrouver Amara, les miens et surtout, une technologie que je connaissais me rendait de plus en plus énervé. Je ne connaissais rien à la Terre. Je n’aimais rien même ici. Les humains m’exaspéraient. Comment pouvait-on être aussi bête pour ne rien connaître du surnaturel… de la magie… des monstres. Je pourrais démontrer mon vrai visage, sauf que je préférais m’amuser avec ce corps qui devenait le mien. Certes, d’avoir ce physique de jeunot… ce n’était pas tant pour moi. Je savais que je devais rester discret. Nebula n’arrêtait pas de me casser les oreilles avec ça… si je devais être pris au piège ici. Je devais sembler normal… ce qui expliquait pourquoi je devais me vieillir lors de mes sorties. Comme ça… les gens qui connaissaient ma coquille – ce Darren Carrington ne poserait pas trop de questions. Un lien de parenté… rien de plus. Avec cet enlèvement et son statut dans la police locale, tout le monde connaissait Darren. Ça m’exaspérait….

Ne pas comprendre la réaction des gens qui m’entouraient me posais souvent problème. Un grognement, un dévisagement et hop, c’était aussitôt les insultes et les remarques. Cette fois, c’était une femme qui m’interpellait de manière grossière… mais qui préférait se reprendre pour ne pas avoir l’air trop sotte. Je lève les yeux en l’analysant. Elle était belle – voir magnifique même. Je n’étais peut-être pas humain, mais je pouvais considérer la beauté humaine. J’aurais pu sourire, mais c’était bien trop difficile. Je préfère hocher de la tête doucement. « Vous avez pensé à lui faire payer ce manque de tact ? J’imagine que de lui arracher la tête n’est pas une alternative acceptable pour vous ? Parce que je pourrais vous aider. » Un semblant de sympathie semblait m’envahir. Une partie de moi espérait qu’elle me comprenne – pour une fois. Rien n’était gagné… surtout que je n’avais aucune idée de la manière qu’elle allait réagir. Ma tête penche vers la droite et mon regard avide continue à la fixer.

De manière inconsciente, elle attend le coup à la fois discret mais violent. Un geste devenu anodin. Néanmoins rien ne vient et de manière tout aussi inconsciente, ses épaules se relâchent. Rien. Rien si ce n'est deux prunelles ancrées dans les siennes. Soudainement inconfortable dans sa paire de bottines, Riley se dandine d'un pied à l'autre. L'homme en face d'elle est imposant, tout en muscles. Il se dégage de sa personne une aura qu'elle qualifie d'inquiétante. Pourtant un large sourire continue de perforer sa face de poupée car elle doit coûte que coûte cacher ses fêlures, ses inquiétudes. Les apparences, toujours, priment sur tout le reste.

Un rire parvient même à chatouiller ses cordes vocales. Cet homme est en fait un plaisantin. N'est-ce pas? Il plaisante? D'ordinaire, Riley cerne très bien l'humour noir. Le cynisme, elle connaît, elle pratique ça avec brio dans ses œuvres. Sauf que là, le doute persiste. Arracher la tête à quelqu'un n'est pas un acte anodin mais ça ne reste qu'une expression, une façon de parler.  Une sonnette d'alarme s'enclenche à l'intérieur de son esprit mais la partie la plus rationnelle se persuade qu'il ne s'agit-là que d'une blague. Alors elle décide de rentrer dans le jeu, adoptant une attitude volontairement désinvolte.

— C'est effectivement une alternative un peu excessif. Par contre je veux bien de l'aide pour rayer sa voiture.

Elle a repéré sa voiture! Une petite cliot grise. Il la bichonne sa bagnole, ça se voit à la manière dont les jantes brillent de milles feux. Par contre, pour bichonner les clients et se souvenir qu'au lieu du lait de vache, c'est du lait d'avoine, là, y'a plus personne! Au fond d'elle, un sentiment de révolte se soulève. Elle ne demande jamais rien ou jamais grand chose. Elle n'élève jamais la voix. Sauf que parfois, elle a envie de hurler. Sauf que parfois, elle aussi elle aimerait agir de manière méchante ou désinvolte.

— Vous faites le guet et je me charge d'amocher sa caisse?

Et l'espace d'un court instant, Riley a oublié le pourquoi du comment ils ont été amenés à se parler. L'espace d'une seconde, elle a oublié pourquoi elle a été amenée à insulter cet inconnu. Parce que bordel, elle en a marre de rentrer chez elle avec la chiasse à cause d'un branleur. M'enfin, ça ne reste là que des propos, des paroles, un sujet de plaisanterie. Elle parle, elle rigole à ce sujet mais aux yeux de Riley, ça ne reste que ça, une blague. Une manière comme une autre de se décharger de sa frustration et surtout, de désamorcer la bombe qu'elle avait elle-même armer en s'attaquant verbalement à inconnu.

Comprendre les humains tout comme les natifs, ça n’avait jamais été ma tasse de thé. Les sentiments, je ne les partageais pas comme eux et je ne cernais pas l’ironie et le sarcasme comme ils pouvaient en faire l’usage de manière si régulière. Aux premiers abords, cette femme ne trouvait ma personne pas très intéressante, mais elle ne coupa pas court à notre conversation pour autant. La suggestion que je lui fis était trop drastique pour elle, sauf qu’elle voulait quand même de mon aide pour lui faire payer son manque de savoir-vivre. Et oui, c’était moi qui disais ça. Je fixe au loin le vendeur d’un regard des plus sombres et repose à nouveau mes pupilles en direction de sa voiture qu’elle me désignait. « Non! » Répondis-je froidement. « C’est moi qui s’occupe de sa voiture. Occupez-vous de la distraction. » Et sans attendre, j’avance le pas pour arriver devant le véhicule en question. Je ne portais aucun intérêt à ce que l’autre femme pouvait bien faire pour distraire son propriétaire, j’agissais et toute suite. Ma main se posait sur la poignée du véhicule et aussitôt que je tirais sur la poignée, aussitôt la porte se détacha au rythme de mon mouvement. Je pose alors la porte à côté et de mes propres ongles je frotte la paroi de la porte arrière encore sur place pour la rayer vulgairement. Je me tourne vers les regards des passants de ce parc. Je lève la main vers la demoiselle et lui démontre d’un signe de la tête ce que je venais de faire. J’espérais qu’elle apprécierait mon travail.