Aileen Davies & Victoria Davenport

as cold as ice

Du mieux de mes capacités, j’hésite à mettre les pieds dans cet hôpital. Cet endroit n’est jamais de bonnes augures et ne me rappelle certainement pas de bons souvenirs. Je ne possède pas cette phobie des centres hospitaliers, mais je ne fais pas des pieds et des mains pour m’y rendre non plus. Cette fois, je dois tout de même rassembler tout mon courage pour franchir ces portes coulissantes et faire face à un de mes plus profonds démons. Ce n’est pas Victoria la douce, la compréhensive, la réconfortante, qui initie cette visite, mais bien la mère protectrice et aimante qui souhaite couver ses enfants comme s’ils n’avaient que cinq ans. Vu de l’extérieur, cette tendance à vouloir protéger à tout prix mes garçons qui depuis longtemps l’âge mature peut paraître exaspérant et même agaçant. On ne peut pourtant pas juger l’instinct maternel, à moins d’avoir vécu autant d’épreuves qu’a pu traverser notre famille… Je ne hurle pas haut et fort cette mauvaise habitude de me mêler des affaires de mes fils, mais je ne peux tout de même pas fermer les yeux et ignorer les dangers qui les guettent jour après jour. Si je peux, du mieux de mes capacités, leur apporter de la quiétude et les aider d’une quelconque façon, je ne vais certainement pas me gêner pour me fourrer le nez dans leurs affaires.

D’un pas déterminé, je me dirige vers l’ascenseur, mais j’hésite avant d’appuyer sur le bouton. J’observe d’un œil analytique les départements énumérés sur une large pancarte à ma droite, cherchant celui de la psychiatrie. Je trouve enfin le mot recherché et note mentalement le 3e étage. Mon doigt appuie avec assurance sur le bouton de l’ascenseur et mon cœur se met soudainement à battre frénétiquement. Alors que je patiente avec fébrilité devant les portes refermées du monte-charge, je prends de grandes respirations pour me calmer. Il y a à peine quelques heures, je retrouvais mon fils, Derek, dans le jardin de ma demeure, me créant plusieurs émois. Tout d’abord, la surprise de le retrouver camouflé ainsi dans l’ombre des buissons. Ensuite, la joie de revoir mon fils après des mois d’absence à l’autre bout de la planète ! Et finalement, l’inquiétude qu’il ne replonge dans ses vieux démons… Revealdown n’est pas synonyme de joie de vivre pour Derek, j’en suis tout à fait consciente. Il a vécu de grands maux dans cette ville et ce n’est pas une année à voyager qui le fera tout oublier. Je sais que sa santé psychologique peut être encore fragile, malgré tous mes efforts pour le supporter et m’assurer de son bien-être. Il y a des choses sur lesquelles je n’ai pas de contrôle malheureusement… Une chose est pourtant bien claire dans mon esprit : certaines personnes de son entourage ont une influence négative sur son bien-être. D’où le but de cette visite aujourd’hui.

L’ascenseur ouvre finalement ses portes et je m’y engouffre sans hésitation pour ensuite appuyer sur l’étage numéro 3. Quelques secondes suffisent pour arriver à destination. Je quitte l’habitacle et prend un moment pour m’orienter. J’aperçois un bureau qui semble être le secrétariat et m’y dirige avec cette même détermination. Je m’approche du comptoir et attend que la femme derrière lève le regard avant de faire une requête.

« Bonjour, est-ce possible de rencontrer Dre Aileen Davies, s’il vous plait ? »

La femme retourne aussitôt à son écran d’ordinateur et me demande par le fait même :

« Bien sûre, le rendez-vous est à quel nom ? »

« Non, je n’ai pas de rendez-vous, » que je m’empresse de spécifier. « Mon fils, Derek Morrow, est un de ses patients et Dre Davies avait une prescription à lui remettre. Mais il est pris par le travail, vous voyez ? Il m’a demandé de venir la chercher pour lui. »

Mon ton est posé, poli. Mon visage est doux et confiant, sans être arrogant. Malgré ma propension à l’honnêteté et la transparence, j’ai toujours eu une certaine facilité à jouer la comédie. Toujours dans le but de bien faire, sans idée de malice ni de malveillance. Malgré que, mes intentions aujourd’hui pourraient paraître à la limite de la bienveillance…

« Oh, je vois… » qu’hésite l’agente d’une voix visiblement embêtée. « Normalement, nous donnons toujours les prescriptions en main propre, à la personne concernée… Avez-vous une attestation de votre fils pour venir chercher la prescription à sa place ? »

« Une attestation..? Je vous avoue ne pas avoir pensé à ça, » que je réplique d’un air anxieux. « Je voulais seulement lui rendre service… »

La femme remarque sans aucun doute mon malaise et semble vérifier quelque chose sur son ordinateur, visiblement en conflit entre deux idées. Après un moment de silence pendant lequel plane un certain suspense, la secrétaire prend de nouveau la parole :

« Dre Davies est présentement en thérapie, elle devrait terminer dans une quinzaine de minutes. Vous pouvez peut-être l’attendre, lorsqu’elle sortira de son bureau, je pourrai lui demander ce qui est possible de faire pour vous ? »

« Ooohh, un grand merci ! C’est si aimable de votre part ! » que je m’exclame avec une reconnaissance bien sentie. « Je vais attendre volontiers, merci encore ! »

De mon air faussement soulagé, je me dirige vers la salle d’attente où je m’assois patiemment, révisant en boucle dans ma tête le discours que je compte offrir à la psychiatre. Mon cœur semble toujours emballé par la fébrilité, mais ma détermination n’est que renforcie maintenant qu’une simple porte me sépare de mon objectif.