La musique. Ce son clair, rythmé, endiablé qui m’avait tant manqué en 39 années coincée à Elvendyr. Tout semblait avoir changé. Autant le style vestimentaire, les produits, la technologie, mais encore plus les styles musicaux. Aujourd’hui, le rythme vibrait, les lumières s’emparaient des pistes de danses et les humains – de plus en plus dévêtis – prenaient d’assaut la piste de danse et tout ça, J’ADORAIS. Ainsi, depuis l’ouverture du portail qui conduisait jusqu’à Revealdown, je passais une bonne partie de mon temps libre là-bas. Je découvrais tous ces changements jusqu’au point où je possédais déjà mon propre téléphone cellulaire – la joie non ? – je m’étais inscrite sur les réseaux sociaux et je me découvrais une passion pour les « SELFIES ». Des gens dont je ne connaissais même pas l’existence me suivaient. C’était fou.

Ce soir-là, je m’étais enfilée une robe hors de prix que j’avais pris chez un grand couturier. Un truc classe, mais très sexy également. Mes cheveux étaient ondulés et je marquais mon regard d’un maquillage bien précis. J’arrivais ainsi au Neon, boite de nuit dont je devenais une cliente régulière. Aussitôt, je reconnaissais la chanson qui jouait une fois à l’intérieur et je m’empressais de danser, un cocktail à la main.

Les heures passèrent et l’alcool commençait à prendre le dessus sur mon âme. Je souriais, je me collais aux garçons comme aux filles et ça semblait en exciter plusieurs. C’est donc avec le souffle court que je décidais de prendre une pause pour m’avancer vers le comptoir. Soudain, un visage familier vint à ma rencontre. Elle se trouvait là – près de moi. Je n’y croyais pas mes yeux. Je pousse un grand cri en agitant les bras dans les airs. « SEPHIRA. IMPOSSIBLE !!!!! » Je me jette dans ses bras en laissant une partie de mon verre tomber au sol derrière elle.

On aurait pu croire que Margot avait passé l'âge d'aller traîner son sublime fessier en boîte de nuit. Parce que quand même, Margot, elle faisait partie de cette génération de terriens qui, en théorie, disaient "discothèque". Sauf que Margot Queen était éternelle et par conséquent, rien n'était jamais trop kitsch, trop décalé, trop "jeune" pour elle. Et puis, Margot adorait danser. Revêtir un pantalon en simili-cuir et un minuscule top style Buffy sur le retour, verre translucide à plusieurs degrés à la main, ça la branchait même grave !

Bon, l'inconvénient, c'est que bien que ce monde-là ait près de deux-cent ans d'avancées technologiques supplémentaires que celui de ses origines, certains étaient encore plus grégaires qu'une meute de loups en rut. Elle dut repousser deux-trois beaufs un peu trop entreprenants. Car, pour une fois, notre Ange déchue était sage. Elle se contentait de move du booty en solo, entre deux gorgées de mojitos. Ce soir, elle n'avait aucune envie de se retrouver pelotée au fin fond d'une ruelle obscure, ou déshabillée par le premier pinpin du coin. Ce soir, Margot voulait juste s'é-cla-ter !

« Jimmy ! Tu m'en remets un ! » beugla-t-elle à l'adresse du barman qui la connaissait désormais bien, histoire de se faire entendre par-dessus la musique, et aussi parce que, de toute façon, elle parlait souvent trop fort. Le type n'eut pas le temps de répondre qu'une belle silhouette toute en tignasse rousse s'abattit sur la jeune femme. Elle se sentit compressée contre une poitrine, aux prises d'une étreinte dont elle ne comprenait pas l'objet. Jusqu'à ce qu'elle reconnaisse son nom angélique. Celui que seul Lestiel devait encore prononcer - quand il était en colère après elle. Souvent. « Qu'est-ce grumbleuh pff aoutch quoi ... » psalmodia-t-elle, un brin choquée, parvenant à échapper à son bourreau. Enfin, à sa bourrine. Qu'elle put enfin dévisager. Pour un peu, elle en aurait tourné de l'oeil. « Autumn ! Putain de sa mère ! » C'était sorti tout seul. Oups. Les yeux ronds comme des soucoupes, elle dévisagea son interlocutrice. « Qu'est-ce que ... Pourquoi t'es là ? » Malaise.

(HJ: LA RÉFÉRENCE À BUFFY )

Depuis la réouverture du portail conduisant Elvendyr à la Terre, je ne pouvais m’arrêter à une vie dans ma dimension. Tout était beaucoup plus sympathique ici – à Revealdown. Je m’étais même déjà fait des copines. D’ailleurs, j’avais gagné un concours la dernière fois que j’avais participé à une fiesta sur la plage. Un séjour dans un petit chalet, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais peut-être que je pourrais m’éclater un peu. Silena, Layden et ce bon vieux Lazarus m’accompagnaient. Enfin bref. Mon attention se portait complètement sur mes retrouvailles avec Sephira. C’était incroyable. Je la serrais dans mes bras fortement en poussant un petit cri qui s’étirait peut-être un peu trop longtemps pour finalement la relâcher et sautiller sur place. L’alcool faisait ses effets, mais mon enthousiasme était tout de même vibrant. « Arrête les gros mots et sert moi encore dans tes bras merde ! J’y crois pas. Je ne pensais pas qu’on allait se recroiser un jour. La fermeture du portail, ça nous a tous séparé. Oh fuck, tu deviens quoi ? Dit moi, dit moi ! » Mon regard déviait vers son verre. Je fixais le mien qui avait rejoint le sol et je ne pouvais continuer cette petite fête sans avoir de l’alcool à me mettre sous le nez. « Attends Lolita ! » Je pousse un grand cri pour commander un verre au barman. « Hey mon cher m’sieur, une vodka framboise cette fois-ci et sort nous deux shooters, on a besoin de célébrer nos retrouvailles. Quelque chose de fort. De ton choix. » Dis-je en lui faisant un clin d’œil. Je repose mon attention sur mon amie de Magnolia Light. « C’est comment ? Vivre à temps plein sur Terre ? Ça doit être fouuuuu ! » Criais-je. Un homme qui se trouvait à côté arqua un sourcil face à notre étrange conversation.

Alors là, c'était la Merde. Oui, avec un grand M, comme dans the Malédiction et tout le bordel. Depuis la réouverture du portail, Margot avait pris grand soin de rester aussi loin que possible de tout ce qui avait trait à Elvendyr. Si bien qu'elle avait poussé le bouchon jusqu'à laisser Lestiel s'y rendre seul - d'ailleurs, il en était revenu profondément chamboulé et baroudait sur Terre depuis, en mode silence radio. Parfois, elle pleurait sa vie perdue à Magnolia Light. Ses parents, qu'elle y avait laissé. Son innocence, sa douceur et sa tempérance, aussi.

Et puis après, elle s'en jetait un petit d'un levé de coude et ça allait mieux.

Elle était comme ça, Margot. Pas du genre à se plomber le ciboulot, à ressasser le passé - autant que son alcoolisme serve à quelque chose. La preuve, elle le fuyait comme la peste ! Aussi, qu'Autumn réapparaisse dans sa vie telle la boule d'énergie et de bonne humeur qu'elle l'avait toujours connu, à ce point ravie, comme si de rien ... Elle évoquait d'ailleurs la fin de la guerre comme on parle de la dernière soirée dont on se réveille en black-out total. Par-dessus la jambe, la meuf. Dans le plus grand des calmes. Inexplicablement, plutôt que de l'étreindre avec force, comme son amie le lui demandait, elle avait plutôt envie de la cogner. Logique, quand tu nous tiens. « Je ... Baaaah ... » Les pinceaux tout emmêlés, la pauvre Margot. Sa langue s'emberlificotait dans sa bouche, refusant de délier quelque mot compréhensible. La rousse avait dix mille questions et la brune, beaucoup trop de réponses. Qu'elle n'avait pas forcément envie de fournir. Trop de trucs à expliquer. « C'est ... » Non, toujours rien. Et le type, là, qui les lorgnait avec insistance, se demandant probablement à quel genre de pouffes il avait à faire. Peut-être même qu'en s'y prenant bien, il pourrait en ramener une dans sa garçonnière. « TU VEUX NOTRE PHOTO, CONNARD ? » Connard se détourna donc de la jolie vue, pas pressé de sa fader la mégère qui venait de l'alpaguer comme s'il était le dernier des pervers. Son verre tout frais à la main, la jeune femme le vida d'un trait. Une bonne secousse dans l'estomac qui fut la bienvenue tandis qu'elle en revenait à Autumn. « Écoute ... Euh ... Bon ... Je vais y aller. Tu m'as pas vu, d'accord ? Genre pas de Sephira dans le coin. Pouf ! Personne ! Magie ! » Prononcer son véritable prénom lui avait franchement coûté. A ce propos, elle reculait, prête à se faire happer par la foule. « C'était sympa de te croiser hein ! Et merci pour le verre ! » La sortie, vite ! Dehors ! Avant que le ciel ne lui tombe sur la tête !

HJ:

À chaque fois que je recroisais la route de connaissance de Elvendyr, je devenais complètement hystérique. Je savais tout ce que la fermeture de la brèche m’avait enlevé et je ne pouvais que déborder de joie à chaque fois pour ces retrouvailles spontanées. Cependant, je gardais tout de même une certaine mélancolie face à la vie que j’avais autrefois. Bien que j’avais recroisé plusieurs des anciennes personnes de Magnolia Light dont Sephira, Lestiel ou Ara.. il manquait toujours à l’appel les deux personnes les plus importantes de ma vie … enfin autrefois. Ma sœur Calliope et mon ancien fiancé D’Hoffryn. Je savais que 40 ans s’était écoulés et s’ils étaient toujours en vie, tout aurait changé. Je savais que D’Hoff aurait sans doute refait sa vie… et que nous n’irons pas reprendre la vie que nous avions autrefois, sauf que j’aimerais bien avoir de leurs nouvelles. Enfin, face à Sephira, je me sentais conquise par cet instant qui semblait plus malaisé par nos retrouvailles qu’autre chose. J’avalais de travers ce certain malaise qui s’embarquait dans la conversation, mais je ne voulais pas en faire un cas. Je restais tout sourire et j’engloutis mon verre à mon tour. Souriante, je tentais l’impossible. « Toujours la même toi ! Ahhhh, tu m’as manqué ! » Dis-je pour l’amadouer un peu, sauf qu’elle n’insistait pas à rester. Elle coupa court à la conversation et me demandait de l’oublier… tout simplement. Mon sourcil bondit sur mon front, je n’allais pas la laisser partir ainsi. Je venais de la retrouver. « Sephiiiiiie, mais attends ! » Hurlais-je à travers la boîte pour courir derrière elle. C’est à ce moment que le barman poussa un petit cri derrière le bar à son tour. « Mais madame, vous n’avez pas payé !! » Ouais, parce qu’on aurait pu sortir fumer, mais ça semblait clair que nous quittions. Bien que j’aurais pu la jouer ordinaire et tout simplement la rattraper par la course, je fis autrement. Je détestais courir et l’abus d’alcool me coupait déjà le souffle. Je claque des doigts pour me téléporter et ainsi tomber face à Margot, levant la main face à moi pour la porter à son torse… pour la retenir. « Plus un pas ! On ne t’a jamais dit que c’était mal poli de couper conversation… surtout lorsqu’une vieille copine que t’a pas vu depuis 40 ans te paie un verre… enfin… payer… bref… qu’est-ce qui te prend merde ? On dirait que tu es tombé face à un spectre. Je suis toujours un ange tu sais… ne mélange pas les cartes Sephie chérie ! » Battant des cils, je tentais de lui offrir un sourire réconfortant, bien qu’elle me décevait un peu.

Margot avait un peu trop la confiance. Depuis quarante ans, elle avait appris à s'esquiver comme personne, de tout un tas d'endroits. Des lits de types dont elle connaissait à peine le prénom, de bars quelconques - quoi que, généralement, elle faisait plutôt la fermeture, voire l'after -, de baraques de fiancées rendues maboules par la perspective du « plus beau jour de leur vie » ... Elle avait même fui son grand amour presque trois décennies plus tôt, lui laissant sur les bras leur demi-ange de fils, pour aller courir après une liberté qui lui avait déjà coûté trop cher. De fait, elle pensait qu'après les pauvres explications en deux mots fournies à Autumn, elle s'en tirerait à bon compte sans aucun problème. Ou plutôt, qu'il ne viendrait pas à l'idée à l'autre Ange de lui courir après. Pour quoi faire, d'ailleurs ? Certes, elle ne s'était pas précipitée jusqu'à Elvendyr mais Elvendyr n'était pas venu jusqu'à elle non plus depuis la réouverture du portail. Pourtant, elle y avait laissé des proches, de la famille, des amis ... Elle en avait conclu qu'ils la croyaient tous morte et c'était aussi bien ainsi. Signe que Lestiel avait rempli sa part du contrat, ainsi qu'elle le lui avait demandé. Elle n'avait plus qu'à espérer que la belle rousse en ferait de même, sans trop se poser de question.

Plop. La silhouette toutes en saisissantes courbes d'Autumn apparut devant elle, alors que Margot remontait la rue, prête à héler un taxi. Malgré elle, elle sursauta à s'en décoller les bottines du bitume. « AH PUTAIN. » Une main sur le coeur parti en bonds de cabri, elle leva les yeux au ciel. « Mais t'es malade ?! Utiliser tes pouvoirs, comme ça, devant tous ces gens ? Tu veux finir cramée sur un bucher ou quoi ?! » Okay, il n'y avait personne à l'extérieur, vue l'heure tardive et la relative tranquillement du coin - en-dehors de la boîte - mais quand même ! Et c'était qu'elle se faisait engueuler elle, en plus. Pas chiée, la meuf ! Ses joues déjà rougies par l'effort déployée dans sa fuite virèrent au rouge écrevisse. Entre l'enfant prise en faute et l'adulte quelque peu hargneuse. « Wowowo ! Alors déjà, son Altesse va baisser d'un ton ! Parce qu'on n'est pas à Magnolia Light, ici, et c'est pas toi qui commandes ! » Oui, bon, plutôt ado en pleine crise de rébellion. « Ensuite, c'est plutôt toi qui devrais croire être tombée sur un spectre, mon lapin en sucre. Ça fait quarante ans que je suis présumée morte. Et j'aimerais que ça reste comme ça, compris ? » Elle brassait l'air de sa main au-dessus de sa tête, tentant d'appeler à elle un chauffeur pour la tirer de cette situation ô combien malaisante le plus vite possible. « Pour finir, je m'appelle Margot maintenant. Si on te demande, "Sephie chérie" est bel et bien tombée au combat y a trente-neuf ans. Vive Sephie, Sephie est morte ! » Evidemment, aucun preux chevalier dans son tacot ne semblait enclin à ramener ses jantes dans le coin. Et comme, contrairement à Autumn, elle ne s'était pas téléporter depuis Mathusalem, hors de question de retenter l'expérience là, maintenant. Surtout quand on venait d'affirmer que son doppelgänger angélique avait perdu la vie près de quatre décennies plus tôt. Restons cohérents, si vous le voulez bien.