Comment faire lorsqu’on a quelque chose sur la conscience qui nous empêche littéralement de dormir ? Tourner, puis tourner ou bien enfiler un pull, un pantalon de jogging et se diriger vers la dense et profonde forêt à vérifier si la source de ses tourments repose toujours confortablement six pieds sous terre. Pas le temps de prendre le thé. Me voilà en direction des boisées perdus de Revealdown. J’avais décidé d’arrêter ma camionnette aux abords d’une petite halte à plusieurs kilomètres de l’endroit où moi et Derek avions enterrés le cadavre de notre voisin Gaston. Étions-nous des meurtriers sanguinaires ? Bien loin de là. Parce que Gaston s’était avéré être une horrible créature psychopathe près à tout pour nous éliminer et que je n’eus qu’une solution pour nous en sortir – le poignardé à mort avant qu’il n’assassine mon frère jumeaux. Est-ce que Derek savait que je me rendais régulièrement sur les lieux pour vérifier que tout se passe comme il se devait ? Non. Pas du tout même et je savais qu’il m’arracherait les yeux s’il l’apprenait, mais je ne pouvais considérer un sommeil paisible en craignant qu’un jour, quelqu’un découvre le cadavre que nous avions cachés dans les bois. Je gardais ainsi ma lampe torche en main et je marchais dans les profondeurs de la nuit qui commençait à défiler d’heures en heures. Suivant le stridulement des insectes à travers les bois, je savais que le jour allait bientôt se pointer. Je devais retourner à ma voiture et rentrer avant que Derek ne se réveille et me pose mille et une questions. Il devait être …. 5h00 AM ? Peut-être plus ? Je n’avais pas apporté mon téléphone portable pour être certain qu’il ne suive pas mes déplacements. C’est lors que j’entendis un craquement dans la forêt. Ma lumière se posa vers la droite, puis la gauche. Rien. Je savais que ça ne donnait plus grand-chose – vu la clarté qui approchait, mais j’y tenais quand même. « Heho…. Il y a quelqu’un…? » Répondis-je inquiet. « Ce n’est qu’un petit animal… genre une tortue… une marmotte.. oui c’est ça. Tu deviens fou parce que tu parles à une marmotte… ferme-là Hunt.. » Soufflais-je à voix haute.

Ces derniers jours, une chaleur de bête s'était abattue sur la petite ville. On étouffait, l'air brûlant asphyxiait les poumons et même les lieux préservés d'ordinaire suintaient la fournaise. Les travaux en extérieur tournaient au ralenti, les horaires se trouvant décalés.
Mary n'échappait pas à la règle. Bien qu'elle bénéficiait de l'ombre des arbres, là, il faisait vraiment trop chaud, pas un pet de vent ne se lâchait, c'était insupportable en journée. Elle devait élaguer les branches mortes d'une parcelle, c'était un gros boulot. Elle s'y attelait donc dès l'aube afin de bénéficier de la fraîcheur relative.
Harnachée comme il se doit, le casque bien en place, elle allait commencer à s'attaquer à un pin, quand tout à coup, parmi les lueurs matutinales qui perçaient au travers des épines, elle aperçut un halo qui se baladait de droite et gauche, une voix s'élevant. Quelqu'un s'approchait et ça la contraria énormément . Il ne pouvait pas aller se promener ailleurs ce type ? Elle détestait être dérangée de quelque manière que ce soit et régulièrement chassait à sa manière les clients trop curieux ou collants. Merde ! Elle allait devoir gérer ça et ça la gavait grave.
Sans réfléchir mais certaine de son effet, elle attendit quelques secondes que le type  soit tout près et surgit telle un diable de sa boîte face à lui. La situation aurait pu être comique : une nana fringuée comme un mec, du moins, on n'imaginait pas que ce genre de taff soit effectué par une femme, une tronçonneuse dans les mains, bondissant soudain au détour d'un arbre, s'amusant à lancer un « bouh » pour faire peur. Mais c'était plutôt les ingrédients d'un mauvais trip qui se réunissaient, là, à presque 6h du matin, au milieu de nulle part, isolé à souhait de toute habitation.

-C'est dangereux par ici.

Et sans attendre de réponse, elle tira sur la poignée et la machine cracha son bruit acide dans le silence de l'aurore. Le toussotement du moteur remplissait les alentours. Le gars n'avait rien à faire ici à cette heure. Elle, elle travaillait. Et lui ? Elle lui planta un regard dur, histoire de mettre les choses comme il fallait.
Il allait dégager, point barre.

Combien de films d’horreurs j’avais bien pu mater à travers les années ? Je me souvenais encore qu’à l’âge de 8 ans, je regardais les soirées meurtres et mystères diffusés à la télévision avec Derek pendant que notre mère dormait. Je savais qu’elle aurait refuser qu’on regarde ça.. mais on le faisait quand même et aujourd’hui, c’était le cadavre d’un psychopathe possédé qu’on venait d’enterrer dans la forêt. Ironique non ? et ce genre de révélation m’angoissait au plus haut point. Je ne pouvais me restreindre à oublier et passer à autre chose… Gaston était humain – enfin c’était ce que je croyais encore – et je l’avais tué. C’était pour sauver mon frère jumeau certes, mais c’était une vie que j’avais prise et je l’a gardais sur la conscience. CE qui m’amenait jusqu’à cette profonde forêt en pleine nuit. J’étais en train de me rassurer sur la nature du bruit lorsqu’une femme – ou un homme au départ la réponse n’était pas clair – se mit à hurler un petit boo qui me fit sursauter, poussant du coup un grand hurlement bien aigu, risquant de perdre pieds – voir me fouler la cheville… « NON, MAIS ÇA VA PAS LA TËTE CAPITAINE ASSHOLE ! TU M’AS FOUTU LA CHIENNE MERDE » Hurlais-je à travers la dense et écho forêt. C’est par la suite qu’elle activait sa scie mécanique, me laissant des frissons recouvrir mon corps en entier. Je poussais un hurlement en reculant de quelques pas. « JE NE VEUX PAS MOURIR PITIÉ PITIÉ PITIÉ !!! » Criais-je en laissant même échapper quelques larmes. J’étais anxieux à un point ou je ne contrôlais plus mes émotions. Que se tramait-il dans cette forêt. Je ne méritais pas la mort et ça même si j’avais commis un meurtre.

Les Autres. Ça l'épuisait. Elle les fuyait comme la peste, l'esprit brassé dans cette espèce de brume perpétuelle dans laquelle elle se lovait, sourde, muette et aveugle au monde. Ne pas les écouter, ne pas leur parler, ne pas les voir. L'impossible équation contre laquelle elle se heurtait sans cesse. Et ô malheur, elle en était de ces humains, condamnée à les côtoyer. Il fallait bien bouffer et s'habiller. Mais le reste, tout le reste, go to hell !
Mais le comble était que parfois, ceux-là même qu'elle évitait avec soin et obsession, lui collait aux basques telle la merde aux pompes. Encore un de ces abrutis d'égarés, qui se savait plus où il habitait, traînant sa carcasse là où il ne fallait pas ! Un sourire ironiquement sardonique aux lèvres, Mary le laissa s'enferrer dans sa peur, presqu'amusée de sa réaction exacerbée. « Bien fait mon pote, tu n'as rien à faire ici ». Qu'il aille se faire foutre, loin !
Mais il fut trop effrayé, jouant la tragédie des derniers instants qui laissa la brune perplexe. Il se foutait d'elle ou bien... ?

-Arrête ça gros cornichon, je ne vais pas te tuer, tu ne le mérites pas. Juste, tu te barres sinon tu vas le regretter. Va jouer ailleurs.

Ce n'était pas possible ! Il n'aurait pas pu rester dans son pieu celui-là, ou cuver dans un coin, ou chasser le dahut ou tout ce qu'il voulait mais pas se pointer, là, pile au moment où elle allait commencer son chantier, tranquille, loin de la civilisation et de ses cloaques pourris ? Elle soupira exagérément, vidant d'un seul coup ses joues gonflées d'un parfait agacement.

-Allez, fiche le camp.

Elle appuya sur off et la machine se tut. Passant la bandoulière autour de son épaule, elle s'avança vers le pin et commença à grimper avec agilité sans se préoccuper de l'indésirable. Elle finit par se caler sur une épaisse ramure et s'apprêta à redémarrer la tronçonneuse, jetant un œil cependant sur l'olibrius. Quatre mètres plus bas, il n'avait pas bougé.

Horripilant.

-Woh le goupil là ! Tu te casses, oui ou merde ? C'est pas un fromage que tu vas te recevoir sur la gueule mais une énooorme branche ! T'as envie d'pleurer ta mère c'est ça ?

Nom d'un chien! Elle n'allait pas perdre son temps à attendre que Môssieur daigne se pousser ?

Une colère, ô douce rage, commença à lui triturer les entrailles...

Je n’aurais jamais cru me faire autant peur en parcourant la forêt de nuit. C’était ce moment où le calme régnait, là où je pouvais oublier tous mes soucis – parce que j’en avais une tonne – et je calmais mes cauchemars avant de rentrer à la maison paisiblement… sans que personne n’aille compris que j’avais quitté mon plumard. Derek ne savait pas ce que je faisais une fois la lune à son apogée dans le ciel. Je m’en voulais, à un point où je ne dormais presque plus. Les cernes sous mes yeux commençaient à rejoindre la cime de ma barbe et mes tempes vibraient à longueurs de journées. Tout ça n’était pas sain, mais je devais m’assurer que le cadavre de Gaston soit toujours à sa place… je devenais fou. Juste l’idée que des travailleurs puissent parcourir le secteur me donnait la chienne. À l’instant, j’avais peur que cette femme ne sache quelque chose – surtout que je passais régulièrement dans le secteur, mais étais-je fou ? Elle me hurlait de foutre le camp, était-ce vraiment une bonne idée ? Je devais en savoir un peu plus, être certain qu’elle ne sache rien, mais surtout, savoir combien de temps elle risquait de trainer dans le secteur. Sans quoi, je craignais devoir suggérer à Derek de déplacer le cadavre… De l’informer de la situation dévoilerait à mon frère ce que je faisais à tous les soirs pendant qu’il dort paisiblement. « Mais, tu fais quoi ici, aussi profond dans la forêt ? » Demandais-je intrigué. La subtilité et moi, ça ne faisait que très rarement une bonne équipe. Je croise ainsi les bras, voyant qu’elle avait éteint sa scie. J’ignorais les menaces qu’elle me disait.

La colère, ô douce rage. Une bête venimeuse qui l'empoisonnait sans qu'elle ne sache bien la maîtriser. Tant d'années à l'étouffer, à la contraindre alors même que les ressentiments s'entassaient dans tous les pores de sa peau. Il fallait bien l'évacuer d'une manière ou d'une autre pour éviter de sombrer dans la folie. Les autres...Ils ne pouvaient pas savoir, fin de l'histoire, début du cauchemar. La recluse ne pouvait plus se lier avec quiconque ou plutôt ne voulait plus. C'était tellement plus simple, plus lâche aussi de jouer la partition du fantôme ou de l'asociale agressive. Circulez ! Il n'y a rien à voir, rien à dire, rien à aimer.

Mary, jusqu'à quand te fuiras-tu ?
Jusqu'où iras-tu dans ton suicide silencieux ?

Bien sûr qu'elle détestait ce type d'emblée, bien sûr qu'elle ne souhaitait qu'une chose, qu'il disparaisse de son champ de vision, qu'il disparaisse tout court. Mais ce n'était pas comme ça fonctionnait. Les autres avaient leur libre arbitre également. Et s'y cogner la rendait agressive, le bouclier brandit, prête à en découdre de toutes les manières pourvu qu'on lui foute la paix.

La paix...Quelle paix Mary ?

« Mais, tu fais quoi ici, aussi profond dans la forêt ? »

« Je meurs, je meurs de moi, je meurs de tout, je meurs aux autres, je meurs... »

Si seulement.

Une question simple si...humaine de curiosité. Une miette d'intérêt, un ersatz d'attention. Rare et brûlant. L'âme abîmée en chialait des braises.

Un miracle.
Une douleur.
Une goutte d'acide.

Transperçant.
Insupportable.

Les dents serrées, les poings contractés à blanc, elle ne répondit rien, figée en haut de son arbre, mutique, tandis que les hurlements intérieurs se déchaînaient.

Qui aurait pu comprendre ?

Il croisa les bras, l'assurance tranquille, pas pressé de s'en aller a priori. Une verrue des bois qu'elle ne pourrait pas curer comme elle, le voulait.
Lui casser la gueule pour qu'il se tire...L'idée lui effleura l'esprit mais elle renonça à cette idiotie. Il était bien plus costaud, elle ne ferait pas le poids. Et puis, il n'avait pas l'air de lui vouloir tant de mal que ça. Après tout...

Elle jura, perchée là-haut, perchée tout court.

Mary...Mary...Le monde n'est peut-être pas aussi noir que tu crois.

Et soupira. Allez, lui répondre n'allait pas la tuer. Le ressentiment naissant s'apaisa. Ça lui ferait un souvenir qu'elle oublierait si vite.

-A ton avis Ducon ? Ironisa-t-elle, haussant les épaules. Je bosse et toi ? Tu fais quoi ? Je connais les gens qui font le même taff que moi par ici et toi,  je ne te connais pas. Ça veut dire que tu n'es pas là pour la forêt mais pour autre chose.

Le regard perçant, elle le scruta avec un petit sourire qui ne disait rien, qui en disait long.
Elle se fichait tellement de presque tout. L'indifférence érigée en murailles.

Si seulement.

Ah, mais elle venait de m’offrir une réponse tellement plausible que j’en restais bouche-bé. Que pouvais-je lui fournir comme explication de ma présence dans la danse forêt de Revealdown ? À une heure aussi matinale. La douce lueur du jour se pointait à peine le bout du nez et j’étais toujours là, lampe torche à la main et l’air confus. J’éprouvais un malaise intérieur en ce moment. Je ne voulais surtout pas être pris en flagrant délit. Je n’étais pas fait pour la prison, j’avais une belle petite paire de fesses bien vierge et je comptais à ce qu’elles le restent.. Je n’étais pas fait pour être violé en prison et dieu sait que ça arriverait parce que j’avais une gueule d’ange. Enfin, mes dents n’arrêtaient pas de grincer entres elles. Ma bouche s’asséchait et ma gorge se noua. « Je..je…je… je ne dormais pas… j’ai décidé de prendre une longue marche pour… me changer les idées … et… je me suis… hum… perdus, hum ouais c’est ça, je suis perdu. » Je lève aussitôt les épaules comme pour démontrer que j’appuyais mes propres dires. Comme si j’avais besoin de me convaincre moi-même. Louche tu dis ? Je rageais intérieurement, mais j’espérais qu’elle ne me questionne pas trop. J’étais assez connu à RD, étant propriétaire du bar Devil’s Tail. Puis, je savais que Derek me tuerait littéralement s’il apprenait que je venais régulièrement voir si tout se déroulait bien pour les restes de Gaston.. je lui offrais un léger sourire, me grattant l’arrière de la tête pour lui répondre. « Vous.. je ne vous ai jamais croisé en ville non ?... » Faisons la caussette, après tout, si elle me trouve sympathique, je risquais d’avoir beaucoup plus de chances de m’en tirer.

«… et… je me suis… hum… perdus, hum ouais c’est ça, je suis perdu. »

Elle éclata de rire. Pour rien, pour l'idée qu'il se faisait d'elle, pour ce mensonge avec lequel il tentait lui-même de se convaincre. Il en transpirait de toutes parts, maladroit comme un nouveau né. C'en était drôle.
Assise à califourchon, elle le toisa :
-C'est ça ouais, t'es perdu et moi je cueille du miel en branches ! Hé mec, tu fais ce que tu veux, mais ne me raconte pas n'importe quoi. Tu me prends pour une abrutie, c'est parfait mais la prochaine fois, applique toi à être plus crédible sans bavasser comme une grenouille au soleil.Tu te rendras service.

Il y eut un silence. Un de ces silences croisés où les mots étaient inutiles. Elle savait qu'il savait qu'elle savait qu'il n'était pas là par hasard.
Et puis après ?

Elle allait redémarrer la tronçonneuse, tant pis pour cet inconscient s'il ne poussait pas sa carcasse ailleurs ! Mais il insista et dans un sursaut incompréhensible pour qui connaissait Mary, mais qui la connaissait de fait ?, elle s'amusa à lui répondre :
-Non, on ne s'est jamais croisé, je ne croise personne dans tout ce bordel.
Elle eut un geste ample alentours, le regard balayant l'horizon verdoyant :
-C'est eux que je croise, les arbres. Tu es chez mes potes, fais gaffe où tu mets les pieds et n'abîme rien, c'est sacré.

Un autre silence . Le glas d'une suspension.
-S'il te plaît, je dois bosser. Tu dois partir.

Il y avait tellement longtemps, tant de siècles  où elle n'avait pas « discuté » aussi longtemps avec un de ses semblables. Ça l'épuisait.

Mary, Mary...ne te fuis pas...

J’aurais pu continuer à la questionner, l’empêcher de travailler et rendre ma situation encore plus louche – comme seul moi s’avait le faire – mais pour une fois, je devais me la fermer et partir. J’observais cette jeune femme qui ne faisait que son boulot aux aurores et je me rappelais ce pourquoi j’étais venu ici. Endroit où moi et mon frère avions dissimulé un cadavre préalablement. Endroit où Derek me tuerait également s’il s’aurait que je repassais continuellement lorsque j’étais hanté par milles et un cauchemar. Mes nuits s’avéraient des plus agités et je ne savais pas comment calmer mes angoisses. J’avais ce besoin de me confier, je jouais très mal les victimes et le fardeau qui me restait sur le conscience était en train de me tuer littéralement. Je grinçais ainsi des dents face au propos que me balançait la jeune travailleuse. Elle savait que j’avais l’air louche et que ma présence ici dissimulait quelque chose… mais elle ne savait pas quoi et par chance, elle ne semblait pas vouloir en savoir d’avantages. Je lève les épaules et recule de quelques pas. Usant d’un salut comme on les faisait dans les marines, je sautille sur place. « Bon bon bon, pas de trouble ma p’tite dame, je vous laisse travailler, seule en tête à tête avec vos copains les arbres. Bonne nuit… enfin, bon matin, bon travail, bonne journée. » Je riais nerveusement tellement j’étais pris par la panique. Je me retourne et rebrousse finalement chemin jusqu’à mon domicile pour dormir les heures qu’ils me restent avant le boulot.

TERMINÉ & VERROUILLÉ