Fragile et gracile. Tu peux rendre ton armature humaine, à ce point chose hideuse, vaine et inutile. Mais de sardoniques humeurs et torpeurs, ton cœur reste avide. Tu ne peux échapper à cette nuit opaque et figée qui sournoisement te guette depuis son berceau étoilé. Définitive, suprême et sourde, elle te guette, la nuit. Dressé, mutin et hautain, sur les récifs de porphyre, tes opalines, cristallines et polaires, fixées à cette toile crépusculaire, tu défis littéralement les Dieux qui depuis toujours se rient de ton rêve inguérissable alors que la Créatrice Mère lentement se veut muette, devinant le Maudit que graduellement tu deviens alors que délibérément au hasard parfois tu peux livrer ton destin… ta véritable nature. Tu peux m’attabler à n’importe quel gibier de potence, hilare et gourment, je me loverai sur celui-ci et me gaverai de tes élans maladivement désespéré qu’est de me voir m’écarteler à la ruée de tes tortures. Tu es ce que tu es. Je suis ce que je suis. En le ballet désespéré de cette rivalité, rien ne nous enchaîne, mais tant et tant de chaînes claquemurent aux parois de ta conscience. Humain, je suis ce cancer qui doucement se propage en tes marasmes charnels. Bestial et animal, je suis ce reflet qui à gorge bien déployée se rie de toi et tes tourmentes. Tu ne peux m’ignorer, Salem. Je suis une partie intégrante de ton noir esprit. Je reste là, sournois, patent, haletant, rongeant ton squelette et te suçant la moelle. Aspirant ta vie, me galvanisant de ton essence, diabolisant tes sens, molestant la chair, répandant en tes veines ma gangrène alors que peu à peu je te fais oublier tes valeurs humaine. Je me suis immiscé en tes songes diurnes, histoire que tu n’oublies la prochaine pleine lune. Seulement, gracile et fragile, tu oses museler la Bête qui furieusement s’éveille dans la jungle de tes entrailles. Tu le sens que ce Tout s’émaille et n’a pour outre mesure que de te faire du mal. Abandonne. Arrêtes ces élans de madone. Les Ténèbres envoûtantes sont tes seules chaperonnes. Abandonne. Laisses tomber. Embrasses à pleine gueule ce pourquoi il t’a été permis d’exister !
- TA GUEULE ! TAIS-TOI ! JE NE VEUX PLUS T’ENTENDRE !
Mon hurlement perse le tourment, le tourbillon infernal enfin s’effrite et s’émiette sur les rochers de ma lucidité. Au travers de tout ça coule gluant, gothique et tyrannique les azures polaires qui lentement laissent sombrer dans l’oubli les prunelles d’ambre du loup qui si près et trop facilement luisaient en mes orbites. La Bête, jamais bien loin au fond de mon crâne. L’endormir, ça devient de plus en plus difficile et débile. Voire pénible.
- Vache. T’es à fleur de peau, Salem ! C’est ce que je viens de te dire, qui te met dans un tel état ? Qu’ironise la lieuse de bonne aventure, sourire caustique aux lippes : Parce que si c’est le cas, tu ne leur échapperas pas. On t’a jamais parlé du mot « discrétion » ?
- Hein ?
Voilà tout ce que je trouve à lui dire, l’air perdu et l’illustration de deux points d’interrogation prenant office aux mirettes floutées qui la dévisagent curieusement. Durant mon coma éveillé, j’ai fort probablement perdu le fil de la discussion. Freyja s’en rend compte et l’air patibulaire qui soudain brille sur la porcelaine de son visage me fait redouter le pire. Nous parlions de choses sérieuses.
- Mon contact, Salem. Il m’a laissé savoir que le Skull and Bones était leur prochaine cible. Ils sont là.
- Les Hunters ?
- Non, les angelots féériques de notre tendre et dévouée Shaenna. Qui tu veux que ce soit d’autre, hin ?
40 ans. Quarante longues et pénibles années, que nous cherchons à se fondre dans le décor et se faire oublier. 40 ans que nous survivons à la place de vivre. 40 ans que j’ai repris en mains le rêve illustre de mon bon à rien de paternel et gère cette fosse à emmerde qu’est le Skull and Bones. 40 ans à vivre cette chienne de vie à hauteur d’Homme, à jouer les fous et les fins eu sein des Natifs. Fugitifs. Clandestins. Une abomination que le Monde d’Elvendyr lui-même abomine. Vivre dans l’Ombre, jouer avec Elles, aux aguets, jugeant Fatale la moindre relation amicale et jugent suspecte la plus inoffensive des œillades que l’on nous accorde. Reclus de tout, pour en vain échapper au glas, à la faux et le cruel fléau. Jouer la comédie. S’imprégner du Mensonge. Se prétendre Humain, mais psalmodier monstruosité et panteler les pires atrocités.
- Préviens Ariana.
Ma voix, semblant comme ressurgir de mes plus profonds abîmes, alors que sous ma paume je sens palper et onduler les ténébreuses franges qui s’animent et se jouent de l’Humain. Je comprends mon blackout de tout à l’heure. À vouloir déchaîner les Enfers, j’ai momentanément libéré le fourbe cerbère.
- Qu’est-ce que tu vas faire, Salem ?
- Ce qu’il y a à faire, Freyja.
No way qu’une bande de trappeur de bois va nous débouler dessus pour revendre au marcher noir notre couenne et quenottes. Ma tête est le splendide trophée de personne ! Leurs boyaux, cervelles et carnes, toutefois, peuvent servir de décorum en mon office. Je voulais justement changer la déco…
Dernière édition par Salem le Jeu 24 Sep 2020 - 19:15, édité 2 fois
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Ariana
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Sujet: Re: send my regards to hell. (ARIANA) Jeu 24 Sep 2020 - 18:31
Je la vois à travers mon regard. Je la vois à travers mon sourire. Tout, absolument tout me rappel son absence. Tout, absolument tout me rappel ce trou béant dans ma poitrine. Un vide douloureux. Une lente agonie qui s'étire chaque jour un peu plus. On ne m'a pas seulement arraché le cœur. On m'a tué de l'intérieur, me condamnant à une errance sans fin. Ce reflet dans le miroir n'est qu'une imposture. L'espièglerie façonne les traits de mon visage mais ne parvient pas à réanimer un palpitant détruit par la peine. Je laisse mes doigts glisser le long de ma tenue, lissant le tissus de ma robe nouvellement acquise dans le monde des humains. D'un bleu électrique, elle rehausse l'azur de mes prunelles, elles-même accentuées par un maquillage appuyé. L'image d'une belle poupée blonde dans son vêtement constitué de dentelle. Keira aurait adoré.
Il ne me manque qu'une dernière étape pour compléter le tableau. Je me détourne du miroir à pied et m'empare d'un étrange gadget de l'autre monde. Petit et longiligne, il est un équivalent de fer à repasser capillaire. Cependant, son utilisation m'échappe complètement. Je coince une mèche bouclée entre les deux pinces de l'appareil mais rien ne se produit. Si Keira était là, cet objet n'aurait plus aucun secret pour moi.
Je me pince les lèvres lorsque j'entends toquer à la porte d'entrée. Je n'attendais personne et pour être honnête, j'ai prévu une petite virée à Revealdown. Les alcools de cet autre monde sont de meilleurs factures qu'au Skull and bones mais ça, c'est un secret. Je n'aimerais pas vexer Salem. Les coups redoublent et par prudence, j'hume l'air à la recherche d'une odeur hostile. Aussitôt, je reconnais l'effluve agréable qui s'infiltre dans mes narines.
— J'arrive! m'enthousiasmée-je.
D'un pas léger, je quitte ma chambre et traverse un petit salon avant d'ouvrir à Freyja. Une virée entre filles n'est pas à exclure si la louve décide de se joindre à moi. De la compagnie, voilà ce dont j'ai besoin pour calmer les souffrances qui m'habitent et me hantent. Malheureusement pour moi, la réalité me claque sa vérité en pleine tronche. Mes lèvres s'affaissent aussitôt mes deux lucarnes posées sur mon amie. L'heure n'est pas à la fête. Quelque chose vient ou va se passer. Je le sens au plus profond de mon être à sa simple façon de me fixer.
* * *
C'est dissimulée sous une cape de velours noir que je pénètre à l'intérieur du Skull and Bones. La terrible nouvelle de Freyja résonne encore dans mon esprit. Des années durant, nous avons dû nous cacher. Des années durant, nous avons dû taire notre nature la plus profonde. Nous avons renions l'essence même de notre identité pour protéger nos vies. Des années d'une paix relative pour finalement aboutir à la même conclusion : nous ne sommes en sécurité nul part. La peur pulse à travers mes tempes. Elle se répand tel un poison dans mes veines mais c'est pourtant la détermination qui se révèle sur mon visage lorsque je retire la cape qui m'étouffe de sa chaleur trop réconfortante pour être appropriée.
— J'ai reçu ton message.
Dans la foulée, je m'avance jusqu'au comptoir pour y déposer mon vêtement ainsi que le sac bandoulière en toile que j'ai emporté avec moi. Si nous devons fuir, alors je suis prête. Après tout, le portail est à présent ouvert, rien ne nous empêche de fuir par delà les Royaumes. Nous avons la possibilité de tout recommencer à zéro. Encore une fois. Peu importe. Tant que nous sommes ensemble.
Pour autant, je connais Salem. La fuite n'est pas une option envisageable pour lui... et probablement ne l'est-ce pas non plus pour moi.
— Tu as un plan?
Question inutile. Il a un plan. Il en a toujours un.
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Salem
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Sujet: Re: send my regards to hell. (ARIANA) Ven 25 Sep 2020 - 18:40
Drapée de velours et de ténèbres, enfin son long corps de liane se laisse voir en l’éther névrotique du Skull and Bones… qui si tôt dans la journée ne demeure qu’une vaste pièce oubliée où il n’y a pas d’âmes qui y vivent, ou du moins celles qui la hantent ne semblent que tenir par un fil, aujourd’hui. La louve pose sur moi son regard amande doux et résolu que trop souvent il me soit été damné de voir, alors qu’à mesure qu’elle se rapproche du zinc, la distance toutefois entre ma pensée et mes flancs se veut grande et abîme. En l’âtre de nos yeux brillent ses feux malheureux et enténébrés qui comme un inéluctable signe nous souligne l’heure critique. À ses lestes et déterminées foulées changent les tonalités alors que sur le glass de mon erratique fragilisé se fissurent les sentiments. Elle ne me le pardonnera jamais. Il est des secondes d'agonie qui se transforment en heures et des heures qui deviennent une éternité de souffrance où désespérément l’on rêve à une mort rapide et bénie… Seulement, le cruel fléau qui jusque dans l’Enfer nous pourchasse jamais ne nous accordera pareil cadeau ! En le marasme des notions qui se mélangent, toujours non loin le Temps urge et rabat sur mon échine réfractaire sa petite enclume de fer.
Lynchant mon chagrin sur le drap crépusculaire qui m’habite, aux oreilles de la Bête mon cri de trépas se veut indifférent alors presque indécemment enfin j’appose la prose sur nos vestiges déliquescent.
- Bloom te conduit à la gare de Willow Fall. Il a avec lui tes papiers falsifiés et ton ticket. Avec un peu de chance, avant la tombée de la nuit, vous serez loin d’ici.
Sous la carne humaine frémissante et bouillante s’agite et s’arrose l’instinct violent où souvent s’invite le goût du sang. Car un loup sait reconnaître que seule la mort sera le fruit interdit qui lui est donné de cueillir, d’atteindre et d’engloutir en l’abysse de sa gueule immonde. En me détachant d’Ariana, je lui évite l’épitaphe, la sépulture, les débris d'une vie gâchée dans la décomposition de puériles ambitions. Sous le nimbe ardent et foudroyant de ma haine, la Bête prend dessus sur mes notions humaines… pensant qu’il me sera plus facile de lui adieux.
Fatal, brutal, c’est plein de suffisance que j’attrape au creux de mes mains son sombre fourreau et son bagage, contournant le zinc pour sans aucun ménagement lui remettre entre les mains ses effets personnels. Mais dans l’âtre de nos yeux, brillent les feux malheureux de nos idéaux impossibles et ce rêve abrutissant qu’est de vivre libres et insouciants comme des enfants. Au firmament je ne deviens que le spectre de moi-même… un fantôme évanescent qui déjà se dilue dans l’éternité de nos siècles lointains.
- Vas-t-en. Nous n’avons plus beaucoup de temps.
Tu te réjouis de sa vulnérabilité et de son regard vitreux. Ta mort édifiée par le jeu pernicieux, véhiculée par une poignée de braconniers qui tout comme toi ne sont blanchit d’aucune âme. Tu le sens que je suis là et guette chacun de tes gestes et dires. Te le devines, à tes humeurs assassines, que je suis non loin et monstrueusement paré à bondir sur son petit cœur de sœur pour t’empêcher de la voir souffrir… vraiment souffrir. Il est encore temps et bénéfique pour Elle de s’enfuir. Alors laisses la partir.
- Barres-toi, Ariana, que je grogne, froid, cassant, venimeux… poussant l’outrage jusqu’à la bousculer de ma large épaule, lorsqu’à grandes foulées je passe devant elle et viens me perdre dans l’entre de mon bureau. Mon sanctuaire.
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Sujet: Re: send my regards to hell. (ARIANA) Ven 25 Sep 2020 - 21:20
Nous vivons ce tournant déterminant. Le supplice de toute une vie. Cet instant où nos choix inscrivent à l'encre indélébile notre avenir. Des espoirs consumés sous une braise impitoyable. Des rêves brisés sous le poids de la réalité. En cet instant, ils ne nous restent rien, si ce n'est nous. La brûlure dévore nos regards. Fièvre d'un mal qui résonne en nos cœurs et déchire nos âmes jumelles. Je brûle de l'intérieur, emportée par les flammes du purgatoire. La bête hurle. De peur. De souffrance. De rancune. Elle lacère ma cage thoracique, demande à expulser cette rage qui la ronge. L'injustice nous frappe de sa lance ardente. Cependant, dans tout ce chaos, je me raccroche à cette lumière que je vois s'éteindre lorsque mes prunelles croisent celles de Salem. Je comprends. Je sais avant même qu'il n'ai à ouvrir la bouche. Les mots n'en sont pas moins difficile à entendre. Je déglutis, ravale mes larmes. Je dois rester forte si je ne veux pas lui donner raison. Toutefois... comment suis-je censée accueillir sa décision? Me connait-il si mal que ça?
— C'est ça, ton plan? articulé-je faiblement. Me tenir éloignée?
Nous avons traversé l'enfer ensemble. C'est ensemble que nous devons mourir. Il est hors de question de partir sans lui. Je préfère encore subir les tourments de l'Enfer. On m'a arraché le cœur une fois... mais pas deux. Il ignore mes souffrances, occulte mon libre arbitre. Déterminé qu'il est à me voir loin de lui, il me refourgue mes affaires et je reste plantée là, clouée par l'indignation et la colère.
— Si tu crois que...
Une phrase qui ne voit pas le jour, coupée par l'injonction de Salem. Son épaule me bouscule mais c'est bien mon cœur qui chavire sous la tempête des sentiments contraires. La haine, la peine, la peur. Une valse qui pulse dans mes veines et pourfend mes muscles. La Bête se réveille, prête à tuer. Elle grogne et s'empare de mes cordes vocales pour se faire entendre. La fureur enfle.
Repousse-moi si tel est ton choix mais n'attend pas de moi une obéissance aveugle. Sous-estime moi si tel est ta décision mais n'espère pas de moi une docilité tranquille. Je suis ton garde-fou. Le lien ténu et fragile qui t'empêche de sombrer dans les méandres de ta folie. Je le sais car tu es mon double, mon âme sœur. Tu es mon tout, mon tout dernier rempart. Alors oui... plutôt mourir que de partir sans toi.
L'hardiesse de mes pas cheminent jusqu'au sanctuaire de Salem. Il l'a dit lui-même, le temps manque et nous devons trouver une solution. Je range mon amertume au moment même où je pénètre son bureau. Je sais combien chacun de ses mots lui ont coûtés. J'ai conscience que ma peine égale la sienne. Cependant, si nous survivons, je compte bien me venger pour cet affront.
— Tu jouera le connard condescendant plus tard, pour l'heure on a un plan à mettre en branle.
Je ne lui accorde aucun regard, préférant balancer ma cape dans un coin de la pièce. Délestée de cet encombrant, je dépose mon sac en toile sur le bureau. Le plan de Salem, dans les grandes lignes, je le connais très bien et il se résume en un mot : carnage. C'est justement ce que je souhaite lui éviter, nous éviter. En fouillant l'intérieur de mon bazar, j'extirpe une trousse en cuir qui contient une dizaine de fléchettes tranquillisantes que j'étale sous ses yeux.
— Avec ça, nous pouvons peut-être gagner du temps. Tout dépend de combien ils seront.
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Salem
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Sujet: Re: send my regards to hell. (ARIANA) Mer 30 Sep 2020 - 13:48
Où s’en est allé le cœur de ce village ? Des kiosques vandalisés ou tout simplement emportés dans la patine du Temps. Myriades de lierres grimpants, de baies-vitrées au reflet olivâtre, de vieux plâtres lézardés qui rappellent les ridules d’un vieillard croupissant et la charpentes des foyers crépis et dont le bois vermoulues peine à supporter le poids de l’Histoire… le fardeau de toute une vie. La guerre des 30 jours n’est plus, mais où s’en est donc allé le cœur de ce village ? Une odeur de soufre, des façades ripées de suie, des chaussées étroites et jonchées de cratères. Willow Fall n’existe plus, a perdu de sa dorure et de ses belles parures. Bastion d’une civilisation qui s’anime dans le brouillard du Hasard, donne un peu d’amour et de vie à ce qui n’est plus. À ce qui ne sera jamais plus. Ruines oubliés en le marasme de la mémorable hécatombe, là où l’horizon lui-même s’écœure et où le médaillon de feu brille par son absence.
À la lourdeur d’une stèle, contre la pierre des murs sales et autrefois si familiers, l’écho de mes pas rebondi et va se perdre dans la profondeur des gorges citadines. Dans la vibration des choses mortes qui m’entoure, mon errance se veut funèbre et délétère. Les rares passants au regard hagard me dévisagent de ces drôles de manières, alors que les blafardes figures disparaissent dans le creux des capuchons et que les dos avec méfiance se ploient… comme pour venir se protéger d’une averse à venir et qui menace de les engloutir comme de la glaise. Et dans le bleu éclair de mes yeux, tonne en braise cette triste et lancinante question : mais où est donc passé le cœur de ce village ?
Dans l’enchaînement bruyants des quelques miraculeuses entreprises qui bravent et traversent la crise, se détache la rauque voix indignée du meunier/boulanger du coin. Mes opalines nacrées et anesthésiées sitôt s’arrachent de la torpeur et viennent contempler la distorsion. Au salut du vieux moulin qui sinistrement fait tournoyer des cieux à la terre sa croix, se dresse sur le seuil la silhouette d’un géant homme d’allure bourrue. Rouleau à pâte bien haut dressé au-dessus de son crâne dégarnie, il traîne de son autre paluche enfarinée la carcasse d’une pauvresse à la longue chevelure de blé :
- Enfin je te prends la main dans le sac ! Vile vanupieds ! Voleuse de miche de pain ! Tu sais le traitement qu’on réserve à de la vermine de ton genre ?!
Le temps de la voir venir se rétamer sur le porche avec la grâce d’un pantin disloqué de ses ficelles, que je suis déjà à son niveau, l’étau de ma patte bien refermé autour du rouleau de bois qui avec la vélocité d’un pur-sang s’apprêtait à venir fracturer diable sait quel os…
- Non mais pour qui tu te prends, toi ? Sors delà, ce ne sont pas de tes oignions !
- Sois gentil, le poudré et retourne à tes moules à pain, veux-tu !? Dis-je, impassible, la dégaine indolente et comme qui dirait nullement bercé par les vents et marrés de son courroux. Le gros bonhomme s’accroche désespérément à son arme de prédilection et je lui arrache du creux des paumes comme s’il avait les mains enduites d’huile. Aidant la pauvresse à la longue chevelure de blé à se rétablir sur ses guiboles, c’est d’une précision chirurgicale que le pommeau du rouleau à pâte vient se ficher sous le pif du boulanger furax qui s’apprêtait à me beugler que sais-je, lui scellant d’instinct les lippes et le faisant loucher sur l’outil de cuisine qui si près lui chatouille la narine gauche : en cuisine, l’odorat est un atout indéniable. Il en est de même pour le goût. Du moins, je le suppose. Alors dis moi, le poudré, ce rouleau, tu le veux où ? L’œil, ça me semble moins handicapant pour toi, non ?
Assimilant le côté con de la chose, le poudré abdique et s’en retourne à ses moules à pain en maugréant que le respect est mort avec le sacrifice de nos Dieux et qu’on ne peut plus se fier sur personnes de nos jours. Hum… plaît-il ?
- La journée que tu en auras assez de jouer les pique-assiettes, passes me voir au Skull and Bones ? C’est pas la taverne la plus chic du royaume, mais tu y trouveras un job, un toit, de la bonne bouffe et la sécurité.
• • •
La sécurité. C’est ce que tu lui as promis, en vous trouvant. Et cette promesse, tu l’as tenue. Jamais tu ne l’as laissé te glisser entre les doigts. Malgré le sang et les larmes qui patinent sur tes carnes poisseuses et pestilentes de Vice et d’Ignominie.
Ne fous pas tout en l’air !
En les restes et ruines épars de nos souvenirs, s’envole et se consume au loin l’écho de nos âges. Nos âges qui se plient et replient au fil des ans et qui bientôt cèderont sous la noirceur de ce Temps en apesanteur qui nous écrase depuis toujours… Mes sinistres cobalts se posant avec mépris et dédain sur les fléchettes tranquillisantes étalées là sur mon aire de travail. Un rire amer et inondé de colère explose du gouffre de mon thorax et embrase le seuil de mes lippes :
- Tu veux qu’on leur chante une petite berceuse, tant qu’on y est !? Pourquoi pas leur fournir les plaids et oreillers ! Et pendant qu’ils font la sieste, pourquoi ne pas nous-mêmes se flinguer une balle en argent entre les deux yeux ! PUTAIN MAIS TU TE FOUS DE MA GUEULE, ARIANA !?
Sous mes jointures, suivant la descente de mon poing, le bois de mon bureau craque, cède en deux, s’écroule au sol en un vaste amas de débris et effets personnels clairsemés. Épris d’une désespérance abyssale et d’un sérieux qui n’a d’égale que l’abîme qui présentement se creuse dans ma poitrine, je contourne les vestiges et fais volteface sur la bibliothèque murale. Un long râle caverneux et tintement de chaine se fait dans les murs et la charpente du Skull and Bones entendre, lorsqu’un vieux et poussiéreux manuscrit quelconque est délogé d’une étagère. La bibliothèque amovible se disloque de son socle et dévoile derrière le sillage de son sinistre coulissement les acarnes qu’elle protège et exhibe sur un tabloïde des horreurs ; un arsenal de torture et quelques bidules explosifs qui feraient rougir de jalousie ceux qui nous traquent.
- Ils ne s’arrêteront pas. Jamais. T’as vu ce qu’ils ont fait à la meute de Dahlia ! T’as pris soins de ceux qui par miracle s’étaient extirpés de ce massacre ! T’as pas oublié l’odeur de cramée qui à l’étage errait comme un funèbre simulacre et t’as certainement pas oublié la tombe de ces mômes que nous avons creusé dans le jardin ! Des enfants, fucking hell ! Ils brûlent et décapitent des mômes… et si c’est pas assez ; ils abattent leurs parents sous leurs yeux ! Tes fléchettes tranquillisantes, Ariana, tu peux tes les fourrer où je pense ! De gré ou de force, tu embarqueras dans ce satané train et JE vais mettre fin à cette calamité qui depuis trop longtemps perdure !
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Ariana
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Sujet: Re: send my regards to hell. (ARIANA) Mar 6 Oct 2020 - 3:25
1832, Willow Fall, Emerald Kingdom, Elvendyr
L'écho sinistre de la mort perdurait en ce lieu autrefois chaleureux. Les sourires disparus. Les rires mis sous silence. Une terre fantôme où nous n'étions que des âmes errantes, hurlant notre agonie en chacun de nos gestes. Nos paroles suintaient de cette détresse latente. Je ne me sentais plus chez-moi. De toute façon, je ne l'étais plus depuis la disparition de Keira. Son absence me tuait à petit feu. Seule la bête en moi continuait de lutter, m'obligeant à survivre lorsque je ne souhaitais qu'une chose : mourir. Toutefois, je le sentais au plus profond de mes entrailles, ses forces s'amoindrissaient. Bientôt, son combat cesserait. En attendant, cet instinct de survie me guidait à travers les rues du village. La carcasse traînante, je recherchais un peu de nourriture. Plus morte que vivante, à l'image des vampires, mais l'ironie m'avait transformé en lycan.
L'habitude voulait que je m'infiltre à l'intérieur du moulin. Là où je savais pertinemment que du pain encore chaud m'attendait. L'habitude voulait que ça soit facile, sans encombre. L'habitude ou la bêtise ont eu raison de mon petit manège. Ce qui, fatalement, devait m'arriver un jour, me tomba dessus. Voix tonitruante, carrure de géant, sa colère surpassait mon entêtement. Les forces me manquaient. La volonté d'en découdre également. Une part de moi espérait y rester. L'autre cherchait encore à se débattre. Une lutte inégale.
Sans encombre, l'homme me traîna en dehors de son gîte. Il vociféra, me balançant au sol avec une facilité déconcertante. Poupée de porcelaine brisée en éclats, incapable de bouger, j'attendais la sentence.
Paralysée.
Paupières fermées, je devinais son rouleau prêt à s'abattre pour fendre mon crâne mille morceaux. Et j'attendais.
Paralysée.
Je désirais cet ultime mise à mort. Qu'on abrège cette douleur qui me scie en deux.
Paralysée.
Sauf que rien ne se passa. Des éclats de voix m'extirpèrent de ma torpeur. Incrédule, j'observais la scène se déroulant sous mes yeux. Sorti de nul part, un homme s'était interposé entre mon bourreau et moi. Le pourquoi et le comment m'échappaient. Cette âme chevaleresque venait non seulement de m'éviter une mort certaine mais me proposait également une issue à mon funeste sort. Ce jour-là, je n'avais rien répondu, incertaine de vouloir être sauvée.
* * *
Son rire me lacère de l'intérieur. Des coups de canifs écorchant mon palpitant. Déchiquetée. Mutilée. Je le sens qui se meurt. Il agonise. Une blessure sanguinolente qui paralyse et me glace d'un effroi cinglant. Salem ne m'écoute pas. Sa colère gronde, implacable, intolérable. Cette haine qui se déverse sur moi est semblable au blizzard. Un givre qui recouvre mon derme et soumet ma carcasse, l'obligeant à frémir de cette affliction vicieuse qui s'incruste jusque dans mes os. Mes poings se referment. Mes ongles deviennent des griffes qui percent ma peau. Des larmes de sang dégoulinent le long de mes dextres, épargnant à mes yeux ce débordement de sentiment.
Il élève la voix. Me balance son venin. Je tressaute. Souffle coupé, carcasse tremblante, je ferme un court instant les yeux sur cette vision désolante. C'est insoutenable. Son bureau qui se brise en deux sous la violence de ses poings, ce n'est jamais rien de moins que nous deux, écartelés, séparés sur deux rives diamétralement opposées. Lorsque mes paupières s'ouvrent ce n'est que pour mieux détourner le regard, incapable d'affronter cette vérité qui m'éclate au visage. Une vague d'impuissance me submerge aussitôt, m'emportant dans un précipice d'angoisses et d'urgence. J'ai l'impression de suffoquer.
Les souvenirs qu'il évoque terminent de m'ébranler. L'odeur de la chair qui brûle. Ces pantins de chair mutilés, méconnaissables. Un carnage. Je me souviens de cette détresse, cette colère qui nous animait. L'injustice, encore une fois, venait de frapper à nos portes, apportant son lots d'horreurs et de traumatismes. Des enfants... Ces petits corps perdus entre tous, sans vie et disloqués comme de vulgaires poupées démantibulées.
— Comment oublier, murmuré-je pour moi-même.
Lorsque mes songes ne sont pas tournés vers Keira, j'en cauchemarde encore. Ma catatonie explose, elle vole en éclat à la fin de son discours. Ses paroles ne cessent de me poignarder, si bien que présentement, mon cœur n'est qu'un amas de bouillis me précipitant dans une agonie assourdissante. De cette souffrance naît la colère. Un élan de révolte qui m'anime et chasse les quelques larmes étant parvenues à glisser le long de mes cils.
— Putain, Salem! Arrête! Juste... STOP! que je m'emporte.
J'hurle pour être entendue. Je cris pour exorciser ma peine. La voix chevrotante, je marque une courte pause. Juste le temps d'inspirer profondément.
— Arrête de parler comme si tu étais seul. Arrête d'agir comme si personne ne tenait à toi!
Comprend que je ne veux pas te perdre.
— Ce que tu comptes faire, Salem, ce n'est ni plus ni moins qu'un suicide. Si tu penses que je vais fuir pendant que tu pars en mission kamikaze, c'est que t'es vraiment con!
Comprend que je n'ai plus que toi.
Mes doigts se perdent dans mes cheveux que je rabat vers l'arrière. Cette situation nous échappe, à tout les deux, peu importe ce qu'il en dit. Il pense détenir la solution mais il est aveuglé par sa colère. La haine l'habite. Un mal innommable le hante et le ronge.
— Tu ne vois donc rien, Salem? Tu n'as donc toujours pas compris?
La réponse est négatif. Non. Il ne comprend pas. Il ne me comprend pas. J'amorce quelques pas en sa direction, mes prunelles cherchant à s'ancrer dans les siennes.
— Toute cette violence appelle la violence. Là où le sang coule, il ne peut y'avoir de paix! Tu crois que je ne sais pas, toute cette hémoglobine sur tes mains?
Prétendre savoir avec exactitude dans quoi il trempe est un mensonge, toutefois je ne suis pas aveugle. Sous prétexte que je ne dis rien, sous couvert que j'acquiesce lorsqu'il tente de m'endormir avec ses mensonges, il pense m'avoir dupé durant ces quatre dernières décennies? Avec douceur, je m'empare de ses dextres, l'entachant involontairement de mon propre sang.
— Toute cette violence et pour quoi, au juste? Regarde-toi, regarde-nous. Si tu y vas, alors tu ne vaudra pas mieux qu'eux. Si tu y vas, alors on leur donne raison. Nous ne serons jamais rien de plus que des monstres! Tu vas les tuer? Et ensuite? D'autres viendront! Encore et toujours! Tu l'as dit toi-même, ça ne s'arrêtera jamais. Alors la seule question à se poser, c'est de savoir si oui ou non, nous voulons être les monstres qu'ils pensent que nous sommes. Je t'en supplie, Salem, viens. Pars avec moi, avec nous. Ou réfléchissons à un plan. Ensemble. Mais ne fais pas ça seul. Je suis là. Je serais toujours là.
* * *
1832, Willow Fall, Emerald Kingdom, Elvendyr
Chaque goulée d'air incendiait mes poumons, un feu ardent qui me consumait de l'intérieur. Je suffoquais. De la lave coulait dans mes veines. La terreur trouaient mes entrailles. L'envie de vomir menaçait de ralentir ma course. Impossible. Je devais continuer, coûte que coûte. La bête en moi me poussait toujours plus loin, repoussant l'idée même d'abandonner. Malheureusement, mon corps ne supportait plus cette cadence infernale. Profitons de la pénombre, je me faufila derrière un arbre, incertaine d'être réellement à l'abris. Je n'avais toutefois pas le choix. Je devais me reposer, ne serais-ce qu'un peu. La foret avait cet avantage d'offrir bon nombre de cachette. Les sens à l'affût, je reprenais mon souffle. Mon cœur pulsait à travers mes tempes, je n'entendais que lui. Impossible de me concentrer sur autre chose, persuadée que les chasseurs pouvaient l'entendre à des kilomètres à la ronde. La brise nocturne soulageait la fièvre qui m'habitait mais n'apaisait pas mes craintes. Le moindre craquement manquait de m'arracher un hurlement. A moins d'un kilomètre de ma position se trouvait une crypte que je savais ignoré des traqueurs. Tout du moins, je l’espérais car je n'avais aucun autre endroit de repli.
Au moment de reprendre ma course, le bruit d'un piège à ours qui se referme me fit sursauter. La seconde qui suivit, un hurlement étouffé s'invita dans mes esgourdes. Un juron s'échappa de mes lèvres. Poussée par une curiosité étrange, je m'autorisa un coup d’œil en provenance de ce raffut. Les chasseurs n'étaient pas loin, nul doute qu'ils avaient entendu le piège se refermer. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils ne rappliquent. Si je devais partir, c'était maintenant.
Mes prunelles sondèrent l'obscurité et sous les rayons de la lune, je le vis. L'âme chevaleresque de la dernière fois. En dépit de la peur et du bon sens, je quittais mon abris et accouru vers le grand blondinet. Même les ténèbres ne suffisaient pas à masquer l'horreur de son état.
Une fois à sa hauteur, mon visage se tordit en une grimace compatissante. L'os était brisé, aucun doute là-dessus. Tout en observant les alentours pour évaluer la situation, je retirais de mon poignée un bracelet en cuir. Ce bijou servait seulement à dissimuler les entailles causées par des lames en argent.
— Mords dedans, ça va faire mal, lui soufflais-je en enfournant le bracelet dans sa bouche.
Usant de ma force surnaturelle, j’entrouvrais les mâchoires en acier afin de lui laisser l'espace nécessaire pour extirper sa jambe. Une fois hors du piège, je l'aidais à se relever et passa son bras autour de mes épaules.
Nous avons fuit ensemble. Nous avons survécu ensemble. Ensemble.
nothing's gonna change my world
Salem
MESSAGES : 1053 BARGE DEPUIS : 14/05/2019 ROYAUME : Alder Lake, Emerald Kingdom, Elvendyr.
Sujet: Re: send my regards to hell. (ARIANA) Mer 7 Oct 2020 - 21:29
Je me perds dans la morsure patibulaire d’une nuit d’encre, là où les nuages courent paresseusement sur le croissant argenté de la lune enflammée qui me sert de point de mire. Comme cette douleur incendiaire qui immole mes chimères, je vois s’échapper d’entre mes babines courroucées ces épais nuages de condensations qui remontent lentement dans l’air et se perdent dans les vapeurs récalcitrantes de l’éther du crépuscule. Les dédales de franges sont noirs jusqu’à l'horizon, mes griffes de sale bête balafrant pour une ultime fois l’humide sentier de terre, pour venir rencontrer et trouver la fraîcheur d’une verte pelouse d’allure huileuse. Extirpé d’une tourmente qui aurait pu être la dernière, j’ignore où je suis, mais je cours toujours. Ma géante silhouette enrichie que d’ébène s’engouffrant dans la brousse épaisse et les hautes herbes qui glissent sur mon noir manteau de fourrure comme ces répugnantes tentacules qui s’entortillent autour de mon corps pour toujours mieux m’enfoncer dans les alcôves sinistres de ces nuits immortelles. Mes diaphanes ambrées me font défaut, mon monde ne cesse de vaciller devant moi, empruntant ces zébrures carmines et violacées qui rendent les mouvements de mes quatre pattes plus houleuses et pénibles sur ce sol cahoteux contre lequel je croule… tel le loup blessé qu’Ils m’ont condamnés à être.
Je me perds dans la morsure patibulaire d’une nuit d’encre, mes oreilles dressées bien droites sur mon crâne ravagé, je suis guidé que par mon ouïe hypersensible qui vrille lorsque la brise s’éveille et fait chanter ce poumon vert. Dos ployé vers cette lune enflammée, je redresse lentement le museau vers le dôme crépusculaire, hume ses arômes, le pas suspendu, ne pouvant m’empêcher de me demander de quoi parle le vent et de qui tremblent les branches ? Fort probablement de moi, des Hunters et d’une autre présence que je ne devine pas encore, tous et chacun, à notre manière, indésirables visiteurs qui passent telle une ombre au fond de l’antre frais. Je renifle, auscultes les environs pour une dernière fois et reprends ma course où elle a brièvement été interrompue… abandonnant sur l’herbe humide cette pourpre rigole d’hémoglobine qui brille sur la verdure telle une traînée de larmes de rubis épars. Ces quelques richesses de moi que je laisse là, comme pour souligner mon passage et guider mes agresseurs qui me traquent comme un molosse bon qu’à damner dans le soufre.
La vilenie de ces braconniers est sans pareille et l’indicible enfer qu’Ils nous font subir n’a d’égale que les ténèbres qui engouffrent mon esprit. La mort de l’homme et la renaissance du loup. C’est ce qu’Ils veulent, cette nuit, pour arrondir les fins de mois. Ils avaient un message à faire passer et je l’ai reçu 5 sur 5 : Ne t’approche plus de notre territoire. Jamais.
Un avertissement. Que je ne vais point écouter. Alors les coups de tonnerre dans la forêt de l’Emerald continueront de se faire entendre et les balles d’argent de pleuvoir un peu partout dans la faune alentour. Jusqu’à ce que la Faux tranche sur la mortelle décision.
Clac ! En la vaste et ample moquerie nocturne, ce bruit mortifère est tel un fauve farouche et affamé qui des hautes herbes bondit lestement hors de son camouflage et vient refermer l’étau de ses incisives sur ma patte arrière. Dans mon crâne de cerbère, l’éclair tentaculaire explose, foudroie mes tempes frémissantes et s’empresse de laisser serpenter la brutalité de son œuvre horrifique jusque dans l’ambre de mon regard enflammé et diabolisé de supplice. Comme si la terre sitôt réclamait mes poussières, c’est la Bête qui lourdement s’écroule sur le lit de terre et de racine, mais c’est le cri de l’Homme damné par le fouet des tourments qui en les profondeurs de la forêt se fait entendre. Étendu à plat ventre sur ce sentier qui m’a battu, je me recroqueville vers ma cheville meurtrie, effleurant du bout des doigts la morsure de ce chalumeau qui jusqu’à la moelle m’incinère, essayant de me libérer le pied de cette mâchoire ferrée, mais qui me fait que de plus belle hurler et sur mes carnes couler la liqueur carmine. Et parmi les distordions palpables devant mes yeux, alors que crèvent dans la nuit ces nuances d’opales terrifiantes et pourpres aliénantes, son long corps de liane glisse vers moi à la manière d’un mirage. Parfois il brille. Parfois il disparait. Un peu de nos indispensables chimères liminaires qui se confondent et l’un à l’autre fondent. Je n’entends plus rien. Il est des instants où ni les bois ou voire même Mère Nature n’ose pousser un soupir, nous offrant les secondes cruciales pour dire STOP et simplement s’accrocher à ce qui désormais nous donne une raison de ne plus vouloir mourir.
• • •
— Comment oublier
Un murmure qui t’emmure. Un murmure qui claquemure. Un murmure qui calme presque la déchirure. Ça doit s’arrêter, tu dois profaner ! Regarde la, regarde toi, se passe, et se passe encore l’illustre flambeau de votre amour, ce tout d’imparfait et lointain qui fait de toi Son frère et de ce qui fait d’elle ta sœur. Ça doit s’arrêter et tu dois profaner ! Mais le murmure t’emmure et claquemure ! Tu ne me tueras point ce soir. Ô, j’en suis si sûr ! Ça doit s’arrêter et tu vas profaner !
— Putain, Salem! Arrête! Juste... STOP!
Vient le hurlement. Vient les tourments. Vient ce marasme polaire et glaciale qui incendie tes veines et peu à peu te repousse vers ses retranchements. Tu veux céder et lui parler. Tu veux le dos ployé tout contre elle venir te lover et tant espérer sentir vibrer contre tes paumes mourantes les jadis éblouissements de vos lumières qui maintenant en ce temps suspendu ne sont qu’errantes agonisantes. Ça doit s’arrêter et tu dois profaner ! Combien je dois me disloquer pour te museler !
— Arrête de parler comme si tu étais seul. Arrête d'agir comme si personne ne tenait à toi!
Elle marque un point. Et mon sardonique sourire goulûment t’emporte dans le délabre de ma gueule alors que plus tu luttes, mieux je t’avale et ravale ! Seul ? Non, tu ne l’es jamais. À jamais nous sommes liés, Salem, en cette guerre contre le monde que tu mènes, en ces nobles ténèbres qui peu à peu t’emmènent. Je suis la Haine qui te gangrène. Je suis cette Folie qui t’aliène. Je suis ce fossé qui se creuse et vers l’Aven bientôt l’emportera si elle ne s’arrête pas ! Profane, fane, cette femme ! Si morte elle est, plus rien elle ne sera à tes yeux alors profanes, fane, cette femme ! Si elle est ta sœur, alors ai un peu de cœur !
— Ce que tu comptes faire, Salem, ce n'est ni plus ni moins qu'un suicide. Si tu penses que je vais fuir pendant que tu pars en mission kamikaze, c'est que t'es vraiment con!
Con. Ah, bon ?!
— Tu ne vois donc rien, Salem? Tu n'as donc toujours pas compris?
Ô, Enfer et Damnation, elle a raison. Tu ne veux pas comprendre alors sur toi j’ose me prolonger et m’étendre. Je vais t’étouffer jusqu’à te voir t’agenouiller et puis prier pour qu’enfin cette tourmente soit assouvie ! Délétère et peu à peu tu me libères. Délétère et peu à peu tu ne sais plus quoi faire. Alors profanes ! Ses prunelles de jade te cherchent, mais tu n’es pas là. Tu n’es plus là. Alors profanes !
— Toute cette violence appelle la violence. Là où le sang coule, il ne peut y'avoir de paix! Tu crois que je ne sais pas, toute cette hémoglobine sur tes mains?
Sur le bord de la tombe, là, c’est l’hécatombe. Elle sait. Elle voit. Tu croyais quoi ? J’ai fait mes lois et sur toi j’ai planté ma croix ! Vers les abîmes, je te broie. Elle sait. Elle voit. Tout ce sang que ton âme bois alors que moi je m’en lèche les doigts. Chapardeuse de tes arcanes, vois comme ça ne la jamais rendu heureuse et sur tes carnes à jamais s’impriment le goût du sang et des larmes. Alors profanes ! Profanes, Salem ! Chapardeuse de tes arcanes, détrousseuse de tes fausses vérités, ce n’est pas ce que tu as souhaité et pourtant c’est arrivé ! Sur le précipice de la tombe, c’est l’hécatombe. Prédateur. Animal. Bête. Cerbère. Monstre, je brise ton marbre et profane ton nom…
Alors profanes !
Une pénombre sans visage, un cœur baigné de pourpre, deux orbites sans fond, grisés que de soufre, le cerbère est d’Enfer et mes deux mains perdues en la catacombe de ses carnes bouillantes et désespérément suppliantes. De mes bras décharnés, je voudrais l’envelopper. Seulement, je ne ressens plus rien. Alors je retire mes mains et vers nos indispensables chimères liminaires tout reste vain.
Alors profanes.
- Je suis désolé.
Une voix qui en est plus une. Minable et frileuse brume. Si pour briser nos âmes, je dois regarder mourir nos flammes en l’âtre de nos yeux… alors je profane… minable, détestable, effroyable, lorsque mon étau de fer vient violemment lui saisir la gorge, pourfendant notre agonie qui présentement me gorge alors qu’à bout de souffle je l’extirpe de mon royaume de soufre et ose l’envoyer valser là où je n’ose même plus regarder.
Une impression de déjà vu, lorsque j’entends son corps lourdement rejoindre le parterre. Une impression de déjà vécu, lorsque simplement je ne me raccroche plus à ce qui nous donne une raison de ne plus vouloir mourir. Il est non seulement la Haine qui me gangrène, mais il tout l’Amour que j’éprouve pour ces quelques personnes de rares exceptions que je ne veux tout simplement pas voir mourir. Jamais.
Alors les coups de tonnerre dans la forêt de l’Emerald continueront de se faire entendre et les balles d’argent de pleuvoir un peu partout dans la faune alentour. Jusqu’à ce que la Faux tranche sur la mortelle décision.