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Tout a commencé pour une cause. Une bonne ou une mauvaise cause ? L’histoire, encore, elle ne le révèle pas. Ce que l’histoire vous laisse le droit de découvrir, toutefois, c’est que ladite cause, bah… elle s’avère être la mienne. Je sais. Je saiiiiis ce que vous vous dite. « Doux Jésus, mais cet adulte puérile et irresponsable n’apprend jamais donc de ses erreurs ? » Alors vous savez quoi ? Vous vous fourrez le doigt dans l’œil et jusqu’au coude ! Mes erreurs, j’en aie retenu la leçon… du moins, quand je ne suis pas sous l’influence de diable sait quel merde que je peux bien m’injecter dans les veines et le fond du gosier. Avec un taux d’alcoolémie un tantinet élevé, ma foi, il peut m’arriver d’oublier les grands apprentissages de la vie et me voilà retombé dans mes veilles manies. Un cuisant retour à la case départ, si j’ose ainsi dire…

- Morrow ! Tu prends les geôles pour un hôtel bed and breakfast ou quoi ? C’est la troisième fois, cette semaine, que l’on te retrouve en cellule de dégrisement ! Qui volera à ton secours cette fois ? Il paraît que même ton ex femme ou ton jumeau n’ont pas accepté de venir signer les décharges ? Je te plains, vraiment ! Que s’éclaffe le gardien tout en s’éloignant du périmètre de ce trou puant qui s’avère être mon pas douillet petit cachot.

Une heure et demie plus tôt…

- HUNTER !!!

Aheum. Aheum. Atchoum. Aheum. Je m’étouffait. M’étrangle avec mes cordes vocales déraillées et entremêlées pêle-mêle dans le fin fond de ma gorge.

- HUNTEEERRR !!! Le rugissement mortifié et furieux de moi le gros bêta pas content explose dans la nuit. Je ne sais pas ce qui me passe par la tête, mais le premier réflexe qui me traverse les neurones, c’est d’aller foutre le bordel dans le salon. Slalomant gauchement entre la table basse et la télévision, je me rue sur le canapé. Peut-être, plus tard, que je vais me dire que ce n’est pas l’idée la plus brillante du siècle, mais dans l’immédiat, comme un fauve, je bondis, traque, déchiquète et démembre de fond en comble ma vilaine proie : Ledit canapé maléfique et démoniaque ! C’est toujours là. C’est toujours comme ça. Vous cherchez quelque chose ? Une télécommande, un portefeuille et ou encore un trousseau de clefs ? Diantre, ne serait-ce donc pas le fichu sofa qui les aurait malencontreusement bouffés de ses viles et abjectes entrailles moelleuses et cotonneuses ? Bref… c’est toujours à cause d’un canapé. Moi, ce soir, en ce qui me concerne ce que j’ai perdu… baaahhh… c’est mon jumeau. Mon colocataire. Mon petit frère, du moins de quelques secondes à peine. Je ne connais pas grand-chose au sujet des disparitions and shit, mais je me dis disait que chercher un frère jumeau dans les craques d’un sofa, ça ne peut qu’être logique et pertinent. Dans ma cervelle envenimée d’alcool, du moins.

- Diable ! Où est-ce que tu te caches, frangin ?! Que je souffle en soupirant et abandonnant finalement mes recherches peu fructueuses. La tête plongée dans les milles et un mystère, une idée pour faire surgir mon frère du sofa arrive !

- HUNTER, SI TU TE NE TE MONTRE PAS LA FRAISE, JE VAIS FINIR TOUTE LA BIÈRE QU’IL TE RESTE DANS LE FRIGIDAIRE !

Et une ombre plane enfin sur le seuil du salon.
Une ombre menue et comme recourbée.
Une ombre qui n’a rien à voir avec celle de mon frère.
Alors la lumière s’allume dans le salon et met en évidence ce que j’avais ignoré depuis le début de mon arrivée à la maison…

- AAAAAAAAAAAHHH !!! AU VOLEUR ! AU BRIGUANT ! À L’AIDE, UN ÉTRANGER EST ICI POUR ME VOULOIR DU MAAAALL !! AAAAHHHHH !!!!

Et c’est pour cette entrée par infraction accidentelle que je me suis fais coffrée…
Poisse, quand tu nous tiens…

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@DEREK MORROW & @SORAYA MCKENZIE

J’avais été appelée sur un cambriolage ce soir, une histoire d’un fou qui venait de déchiqueter un canapé et qui criait après quelqu’un dans la maison. C’est ce qui avait réveillé le propriétaire qui nous avait appelés bien avant. J’étais arrivée sur place avec mon coéquipier, une opération de routine que nous n’avions plus faite depuis des siècles, nous nous étions spécialisés dans les affaires étranges, celles qui secouaient la ville depuis quelques mois maintenant. Mais cette nuit, nous étions de service et obligés de nous y rendre… Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que le fou furieux était un ami de longue date, Derek Morrow. Quand j’étais entrée dans la maison, j’avais levé les yeux au ciel, une fois de plus, il avait trop bu… Je l’attrapais par les mains et lui passais les menottes dans le dos, j’avais pris l’initiative de le faire, histoire d’y aller plus doucement. Ce n’était pas sa première et ça ne serait certainement pas sa dernière incarcération mais cette fois-ci c’était une amie qui l’arrêtait, ça passerait plus gentiment.

Nous le ramenions au poste et je le déposais dans une cellule du commissariat, vu son état, il aurait été inutile de lui poser des questions. J’avais pris la déposition du propriétaire qui souhaitait absolument porter plainte, je tentais de le convaincre de ne pas porter plainte et j’y arrivais, en échange d’un dédommagement pour les pertes occasionnées, il fallait maintenant que j’en discute avec Derek… Plus tard dans la soirée, quand je vis qu’il commençait petit à petit à dessaouler, je m’approchais de la cellule, un gardien venait de lui faire une mauvaise plaisanterie. Je mis mes mains sur mes hanches et regardai méchamment ce même gardien, il ne m’avait pas vu lui.

« Un peu de respect Crane, allez voir ailleurs si j’y suis pas ! »

Le gardien du nom de Crane sursauta et se retourna, il m’envoya un regard noir à son tour mais s’exécuta. Je m’avançai vers la cellule, sortis la clé et ouvrai la porte pour m’y engouffrer à mon tour.

« Alors Morrow, on a encore fait des siennes cette nuit ! »

Je n’avais pas une grande leçon à lui donner concernant l’alcool alors, je me contentai de dire cela. Après tout, ces derniers temps même mes patrons m’avaient renvoyée plusieurs fois pour cause d’alcoolisme dans l’exercice de mes fonctions… Ca la fout mal pour lui faire la morale, non ?

« Au moins, si tu bois, essaie de ne pas te faire prendre ! »

Finis-je par dire simplement, parce que même si je n’étais pas mieux, je tenais quand même à lui et je ne voulais pas qu’il finisse définitivement en prison… Je m’étais assis à côté de lui sur la banquette de la cellule…

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Avachis en position fœtale au beau milieux du bordel de cette couche qui me sert de logis de retraite où dégriser, mon regard anesthésié glisse doucement sur les cloisons de ciment souillé alors que j’aspire de profondes goulées d’air à l’arôme âcre d’humidité. Il n’y a pas d’odeur plus forte, plus sinistre, pour ramener un homme sur terre et par le fait même le dessoûler. J’ai presque envie de gerber, mais la crasse brunâtre qui recouvre le stainless steel de ce bidet maléfique me conjure fortement d’aller me foutre le minois là-dedans. Je rumine les écœurantites aigues et prends donc mon mal en patience. Le même genre de passif agressif que j’affiche à ce bozo de Crane qui en gloussant comme une grosse dinde prolonge sa petite balade de santé dans le couloir… prélude de bécasseries qui laisse se profiler toutefois bien meilleure contemplation alors que l’agent McKenzie vient faire irruption à la lisière de ces joyeusetés.

Galant, ou presque, je redresse ma carcasse et m’assieds en tailleur sur le lit, profitant par la même occasion de défroisser ma veste du revers de la paluche alors que de l’autre main j’essaie en vain de dompter les sombres mèches rebelles de ma chevelure en bataille. Bah, quoi, même dans ce trou puant, un gars pouilleux a bien le droit de se faire présentable à l’approche d’une grande amie flic qui vous a fait une fleur cette nuit !  Grand sourire de gamin sur les lippes, je laisse la demoiselle prendre place à mes côtés sur le lit et ne peux m’empêcher de tiquer à sa petite pique.

- Je prends note du conseil. Quoique… si c’est toi qui me passe les menottes, la prudence, elle peut toujours aller se faire foutre !

L’allure recroquevillée d’un marmot arsouille, j’enroule mon bras autour du cou de ma maman-amie et laisse lourdement tomber ma tête douloureuse sur son épaule.

- Pourquoi c’est pas toujours toi qui vient me coffrer, hin ? Tes collègues, j’crois que je suis allergique à eux. Ça fini toujours trèèèès mal. Alors que toi, tu n’utilises pas la manière forte. Hop, les menottes et hop dans le panier à salade !

Je resserre mon étreinte et ferme un instant les yeux.

- Et tu vas me dire que tu ne t’es que contentée que de boire du café, agent McKenzie, ce soir ? Que je souffle en un murmure qui ne s’adresse qu’à elle et qu’elle seule entend.

Entre deux écorchés vifs, on voit les fêlures et plus subtiles fissures…
Ouais, bon, j’suis peut-être pas tout à fait encore dégrisé…
Oops ?

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Derek se releva tandis que je prenais place à côté de lui. Il n’était pas au meilleur de sa forme et pourtant, il était toujours craquant. Si je n’avais pas été mariée à l’époque, j’aurais pu craquer pour lui mais, à l’époque, ça n’était même pas envisageable, je ne l’aurais jamais vu de la sorte. Mais, si les circonstances de notre rencontre avaient été différentes, j’aurais pu tomber amoureuse de lui, il était définitivement le style d’hommes que j’aimais. Malgré ses cheveux en bataille, sa veste un peu de travers et sa nuit passée en cellule, il était encore craquant. Il me souriait, je savais qu’il ne prenait pas au sérieux ce que je lui disais, moi-même, je ne me prenais pas vraiment au sérieux. Je rigole à sa remarque, et je le tape légèrement son bras avec mon propre bras.

« Attention, je pourrais devenir méchante ! »

Evidemment que c’est faux, je tenterai toujours de le protéger, c’est dans ma nature. L’envie de l’aider et de le sortir de son mauvais pas. J’ai tendance à plutôt m’occuper des autres avant de m’occuper de moi. Je serai capable d’essayer de le sortir de son mauvais trip alcoolique et me laisser rester alcoolique à côté… Il passe son bras autour de mon cou et pose sa tête sur mon épaule. Naturellement, ma tête se pose sur sa tête et nous restons un moment comme ça. Je souris à sa demande, si je pouvais être toujours là quand il se faisait attraper, ça me rassurerait.

« C’est parce que moi, je te connais ! Si tu étais un étranger, je serais aussi violente qu’eux ! »

C’est faux évidemment, je n’ai jamais vraiment été violente, déjà quand je chassais avec ma famille, tous me trouvaient trop tendres… L’épreuve du veuvage est la goutte qui m’a fait basculer mais ma nature n’a jamais été d’être violente… Il me serre un peu plus fort et je profite de ce moment tendresse, des moments qui étaient devenus tellement rares ces derniers temps pour moi…. Il me parle de mon propre alcoolisme et mes yeux se rouvrent, mon sourire disparait de mon visage mais je reste figée… Evidemment, tous mes proches savaient que j’étais sur une mauvaise pente… Il ne parle qu’à moi parce qu’il sait que je ne veux pas que tous mes collègues entendent cela… Mais, ils savent tous que je bois trop, tous ceux qui me côtoient le savent…

« Non, je ne te dirai pas ça ! Je t’ai promis de ne pas te mentir ! »

Que rajouter de plus ? Je laisse passer un moment, je laisse nos deux cœurs meurtris prendre mutuellement l’amour de l’un pour l’autre pour panser nos blessures…. Je relève la tête et je la tourne vers lui :

« Je vais te faire sortir mais seulement si tu me dis que tu vas arrêter tes conneries ! Tu vas finir par te blesser ou blesser quelqu’un ! »

Je sais que j’étais mal placée mais je ne prenais pas de risques quand j’avais bu. Au boulot, je ne prenais jamais le volant ou mon arme quand je partais en patrouille… Je suis peut-être alcoolique mais je ne veux pas mettre la vie d’autrui en danger…  

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La doucereuse accalmie s’installe, s’attarde, glisse sur les fraîches cloisons de la cellule et se prolonge vers les airs. Inspirer profondément les arômes de ce parfum mielleux et me laisser bercer un instant entre ces velours cristallins. Candide simulacre de notre amitié datant, voile de notre légendaire complicité et le ballet funèbre de nos liens unifiés par les maux sosies. De l’adolescence à la vie adulte, nous nous tenons compagnie et assistons aux impies malheurs qui nous pourchassent et arrachent à toute paix. Dure, dure, cette vie d’adulte que nous n’avons jamais réellement envisagés, il y a de cela un Passé douloureusement révolu.  De nos têtes confortablement posées l’une sur l’autre, je parviens presque à entendre le hurlement de ses pensées épars et vespérales. Un écho profond qui rejoint systématiquement le mien.

Soraya, cette précieuse amie.
Soraya, l’ange gardien.
Soraya, la torturée.
Soraya, la tourmentée.
Voilà ce que je repère au travers de son sourire, son regard et surtout les piques amicales qu’elle me balance à la trogne. Trogne légèrement imbibée d’alcool et baignant dans le vaseux bassin de la bécasserie humaine, maiiiisss bon.    

- Arrête ton charabia, McKenzie. T’es un sacré petit bout de femme, je te le reconnais, mais au fond, t’es une vraie tendre ! Tu te souviens de ce clodo puant qui s’était caché dans la benne à ordure de monsieur Chenz, le soir de noël ? La manière avec laquelle tu l’as sortie delà et escorté jusqu’au centre de désintox’ le plus proche ? On aurait juré maman qui accompagne fiston lors de son tout premier jour d’école !

Je me souviens parfaitement de cette scène. Comment et pourquoi ? Ça, par exemple, je ne m’en souviens plus. Il me semble que nous étions spectateurs, Hunter et moi, parce que nous étions déboulés au centre-ville en tombe pour nous dégoter un nouveau sapin de noël… parce que le premier avait cramé. Hum. Il me semble que c’est ça.

- Tu te souviens ? À la fin de ton chiffre, t’étais passé à la maison pour venir croquer un morceau de dinde avec nous. Putain que nous avions été cons, cette nuit-là !

Dans le temps où tout allait bien. Hunter et Majandra étaient ensembles. Nell et moi n’étions pas divorcés. Soraya et Matthew venaient de se fiancer… Bordel, ce qu’on peut revenir de loin !  

- J’ai également promis de ne jamais te mentir, So’. Que je souffle, alors que je sens la jetée de sel être balancée sur une plaie bien trop vive et purulente : C’est pourquoi que je ne peux te promettre que je vais arrêter… ces conneries.

Ennuyé, avec balourdise, je me relève de contre le lit et commence à faire les cent pas devant mon amie la flic. Je sais qu’elle a raison, mais j’ai pas envie de l’entendre et ou de me l’avouer.  

- Ça ne s’arrête pas. Jamais. Tu comprends ? Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais plus quoi faire. J’ai pas la force d’être lucide, So ! J’ai pas la force. Et je ne veux pas d’aide. J’suis très bien comme ça !

Soraya, cette précieuse amie.
Soraya, l’ange gardien.
Soraya, la torturée.
Soraya, la tourmentée.

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Nous voir, tous les deux, assis sur cette banquette, nous deux, pauvres âmes perdues, les gens pourraient penser que j’ai passé ma nuit dans cette cellule aussi. Qu’est-ce qui me distingue de Derek d’ailleurs ? Peu de choses, à part le fait que moi, je fais partie des forces de l’ordre. Mais, si je continue sur cette pente, ça ne durera pas très longtemps. J’accumule les fautes au boulot et je suis étonnée de voir que mes patrons soient si compréhensifs avec moi. Je n’ai encore jamais mis en danger la vie d’autrui à cause d’un alcoolisme trop important mais si je continue sur cette pente, ça risquait d’arriver… J’essayais de faire croire à Derek que je n’étais pas aussi tendre que je pouvais paraître. Il ne me connaissait pas avant, il n’avait aucune idée de ce que j’étais capable de faire. Plus jeune, j’avais été chasseuse et sans pitié, pas autant que le reste de ma famille mais quand même. Je souris à sa remarque, il était vrai que j’étais plus tendre que la famille Rosenberg, il était difficile dans cette famille de  ne pas être la plus tendre, il suffisait juste d’avoir un cœur. J’ai même un rire franc quand il me parle d’un souvenir en commun, nous trois – son frère, lui et moi – le soir de noël quand j’avais ramené ce pauvre SDF dans un centre de désintox pour qu’il puisse avoir un noël décent.

« Je m’en souviens, c’était le bon vieux temps où tout était plus simple pour nous tous ! Qu’est-ce qu’on se marrait bien à cette époque ! Tout était déjà compliqué mais tellement plus simple que maintenant ! »

A l’époque, nous étions tous plus ou moins heureux et nous ne mesurions pas le bonheur que l’on pouvait vivre. Nous ne savions pas que le bonheur allait nous glisser entre les doigts…

« Ce bout de dinde m’est resté dans la bouche pendant des mois ! »

Je me souvenais combien cette dinde avait été dégueulasse mais au moins, j’avais pu partager un bon moment avec les frères Morrow, ma deuxième famille d’une certaine manière, une famille que j’avais pu choisir cette fois. Il me demanda pour sortir mais je ne pouvais pas le laisser repartir sans tenter quelque chose, sans essayer de le convaincre de faire quelque chose pour changer sa situation. Malheureusement, comme je l’avais prévu, il ne pouvait pas me faire cette promesse… Il se leva et commença à marcher de long en large et je savais qu’il fallait que je tente quelque chose de plus doux, quelque chose qui pourrait nous permettre un compromis. Jusqu’à ce que j’entende ces mots qui résonnaient en moi terriblement, comme lui, je ne pouvais pas être sobre, c’était au-dessus de mes forces, pour avancer j’avais besoin de ne pas être lucide. Pour avancer, j’avais besoin de boire sinon, je restais au lit, sans pouvoir me relever pour vivre. J’avais perdu l’amour de ma vie, mon repère et clairement, je n’étais pas prête pour réussir à m’en sortir…

« Arrête de dire des conneries Morrow ! »

Dis-je d’un ton un peu sec pour attirer son attention mais ma voix se radoucit tout aussi vite pour rajouter la suite.

« Je sais bien que tu n’es pas bien comme ça, je le sais parce que je vis la même chose que toi ! Tes paroles font résonnance à ce que je ressens moi aussi ! Je ne peux me lever et avancer que quand j’ai bu ! Mais, je ne suis pas très bien comme ça et tu ne me feras pas croire que tu es très bien comme ça ! »

Je conclue en me levant à mon tour et me posant devant lui.  

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Nous ne le savions pas à cette époque. Imperméables et insouciants. C’était nous contre le monde et ce maudit monde n’avait qu’à bien se tenir ! Invincibles, rêveurs, naïfs, mais surtout trop jeunes et sans aucune valeur. Issu de ce siècle vaurien qui m’aura pourtant valu tout, je hume encore les parfums de cet autrefois qui m’est désormais que le cher et morose simulacre de ce vent de ruine qu’est en train de devenir ma vie…  ses fondations s’abîment, s’effritent et sillonner en cette décrépitude m’agglutine à quelque chose que je ne suis pas encore paré à dire adieu.  Borné, acharné, abruti de nostalgie et le cœur ecchymosé par les noirs regrets.  Le sourire, le rire, qui présentement illumine les marbres abîmés de ma figure, tout ça illustre combien ma litanie se fait réflexion et torrent.

- Tu parles de complications. Cette fichue dinde, justement, elle aura été d’un véritable calvaire et complexe à digérer. Hahahaha ! Et Hunter qui s’était étouffé par ce qu’il avait avalé de travers c’te bouffe infecte. Tu te rappelles que nous étions à un cheveu près de passer le réveillon aux urgences ? Et toi polie qui ne voulais pas froisser ma mère et disais que cette daube était succulente ! Hahahaha !

Glu à ce souvenir précieux, il m’embourbe et absorbe tout entier. Le vaste chagrin et toujours qu’elle revient au galop cette satanée nostalgie. Se dire que le temps perdu n’est pas rattrapé, mais perdre son temps à toujours le compter et le regarder s’évanouir peu à peu dans l’ombre de l’oubli. La présence de Soraya m’apporte quelque chose de moins délétère, d’un peu mensongère, mais qui me libère des ornières et me ramène les pieds sur Terre. Je la contemple de mes rieuses mirettes et repère les spectres qui doucement valsent dans la lueur de ses opales.

Nos sourires doucement s’éteignent. Notre conversation qui emprunte une tournure que je ne veux pas aborder. L’ombre qui revient. Elle revient toujours. Lion en cage, me voilà qui fait les cent pas, pour ne pas voir… pour ne pas confronter les stigmates qui avec malice se profilent dans le pare-brise de son regard.

Mais Soraya n’est pas dupe.
Mais Soraya sait de quoi je parle.
Hélas, abhorrés à la plus funèbres des perditions, nous buvons la même coupe et le même nectar grisant. Un poison. Pour exorciser nos démons.
Sacralisé notre graal, pour oublier et noyer nos mœurs hideux.  

Je passe près de lui foncer dessus, trop emporté dans mes pensées, je n’ai pas réalisé qu’elle c’est approché de moi pour me faire face. Je me recule d’un pas maladroit et plonge mes yeux dans les siens. Et je vois danser comme des funambules les spectres de ses émois étouffantes. Elles brillent dans la clarté de son regard doux et empreint d’un altruisme que je ne me mérite pas. En dehors de ce discours qu’elle me balance, qu’est-ce qu’elle ne me dit pas ?

Raconte, moi, mon amie. Qu’est-ce qui te ronge et mine ainsi ? Par-cœur, je te connais par-cœur. Dans la disharmonie de ce soir, je vois les vagues de désespoir qui avec horreur menacent de t’entraîner en cette mer folle en laquelle je me noie depuis fort longtemps… Déambule et clopine notre tristesse commune qui toujours mieux sait nous plonger dans les plus ivres prouesses.

Tels sont les mots que je voudrais lui dire, mais par péché d’orgueil, mes lèvres se courroucent d’un sourire amer, pour camoufler ses putains de larmes qui soudain remontent et brument ma vision.

- Toi, arrêtes tes conneries, la flic ! Putain, tu veux me faire croire qu’entre mettre en terre son môme, ou l’amour de sa vie, ç’a pour mérite de se faire partager comme souffrance et surtout… surtout subir cette longue période de deuil les yeux grands ouverts et… par tous les enfers… lucide ?!

Honteux, je n’ai pour bénéfice que de lui tourner le dos et de rabattre les paupières devant ma vision de plus en plus embrouillée.

- Ils sont toujours là. Sobre, ivre, ils sont toujours là, Soraya ! Ton empathie peut aller se faire foutre, jamais nos douleurs siamoises seront pleinement comprises. Je préfère de loin toucher le fond du baril, en l’ayant bu à grandes lapées, qu’à l’opposer de m’y noyer dedans !

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« Oh oui, je me souviens de sa tête ! Et puis, je ne m’imaginais pas dire à ta mère que c’était dégueulasse quand même, j’avais la chance d’être à votre table déjà, c’était bien gentil ! »

Nos souvenirs remontent et ont le mérite de nous faire sourire un peu, ce n’est pas cher payé dans une vie aussi sombre que la nôtre. Mais ces moments si rares sont si courts. Aussi vite que ce bon souvenir était venu, il repartit, nous laissant prendre conscience de la réalité. Cette réalité que l’on tente de fuir dans la boisson, cette réalité qui nous fait tellement mal au quotidien. Je sais le mal qui le bouffe de l’intérieur, je ne le comprenais pas avant mais maintenant, je sais ce que cela fait.

Alors, je ne peux que comprendre pourquoi il se noie dans les ténèbres pour oublier. Mais, je refuse de l’entendre dire qu’il est bien comme ça, je sais que c’est faux et j’ai besoin qu’il s’en rende compte. Il ne peut pas continuer sur cette voie, je ne peux pas continuer sur cette voie. Pour aller mieux un jour, si cela est possible, nous devons au moins reconnaitre que nous ne sommes pas heureux. Ça ne s’arrangera peut-être jamais, je ne suis plus cette femme plein d’espoirs mais j’aurais au moins eu le mérite d’essayer non ? Je lui dis alors d’arrêter ses conneries pour attirer son attention mais d’une voix plus adoucie, je lui donne ma vision des choses, je lui dis d’arrêter de se voiler la face sur son « bien-être ».

Je le vois alors sourire, un sourire jaune mais je vois aussi ses yeux se mouiller et je sais ce qu’il va faire… Il va me répondre sur un ton sarcastique pour camoufler ses sentiments, je le connais depuis tellement d’années que je sais comment il réagit quand il s’agit de prendre conscience de ce qui se passe. Et ça ne manque pas, il me dit d’arrêter mes conneries, qu’il ne veut pas être lucide pour vivre le deuil qu’il vit… Et comment lui dire qu’il a tort alors que je ressens la même douleur. Mais, je sais, au fond de moi, que ce n’est pas une solution, juste une mort à petite dose. Il me tourne alors le dos et je sais qu’il tente de ne pas s’effondrer devant moi. Il me dit qu’ils sont toujours là et qu’il préfère se noyer dans le baril en buvant tout son soûl…

Je pose mes mains sur mes hanches, même s’il ne le voit pas et je l’oblige à me faire face, violemment, je lui prends le bras et lui fait faire demi-tour. J’hésite entre être trop violente dans mes paroles ou être plus douce. La méthode douce, je viens de l’essayer, j’ai pas réussi alors, je décide d’utiliser la manière forte. Je sors mon arme et lui tends :

« Alors, autant que tu te mettes une balle dans la tête tout de suite Morrow ! »

Je le mets au défi et je sais que je prends un risque parce qu’il est assez fou et malheureux que pour le prendre et se tirer  une balle… Je retire l’objet de tentation du nez de mon ami et je continue.

« Non parce que si tu continues à boire, si nous continuons à boire comme ça, c’est la mort qui nous pend au nez alors, pourquoi ne pas abréger nos souffres tout de suite ? Parce que comme moi, tu as des gens qui tiennent à toi et qui ne veulent plus te voir souffrir et surtout pas mourir à petit feu ! »

Je remets mon flingue dans son étui et je m’approche pour lui toucher le bras et rajoute :

« Dis-moi que tu vas y réfléchir, je tiens trop à toi pour te voir encore te détruire comme ça ! »

J’en ai les larmes aux yeux, je me sens si impuissante face à sa souffrance, une souffrance que j’endure et qui m’a empêché de voir certaines choses jusqu’à présent… Notamment, la détresse de certains de mes plus proches amis…

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Et soudain quelque chose m’habite.
Et soudain, quelque chose s’effrite.
Et soudain, les torpeurs sont de nouveau subites.  

De nos vies parjures. De nos destins et leurs incalculables fissures. Il ne reste de ces fêlures, que les frissons et jurons. Un goût acerbe en mémoire, pour nous, les malheureuses dépouilles dépravées, qui se retrouvent et languissent dans les vestiges. Marionnettes disloquées. Disloquées de toute vie. Disloquées de toutes humeurs. Retenus, manipulés, que par les fils graciles et emmêlées, d’une fureur à la fois chimère et calvaire. Nous, pantins, vacillent entre cordelettes qui strangulent et autres paraboles de funambules écorchées d’immaculées ficelles. Automates perdus, vaincus, fous, n’importe où, qui se retrouvent à la lisière d’un soir esseulé… pour s’épauler et espérer s’aider. Qu’est-ce qu’on peut y faire ? Comment nous pouvons nous y faire ? Coule, afflux par grandes houles, dans mes veines souterraines, l’insaisissable émoi, qu’est de voir mon amie, précieuse Soraya, ployer ainsi le dos, pour s’abaisser si bas, en de tels effrois mortifères.  

Et soudain quelque chose m’habite.
Et soudain, quelque chose s’effrite.

Fous, n’importe où. Tous les deux perdus, mais qui se retrouvent, comme au premier soir, comme au premier espoir, que représentait la rencontre de nos chemins croisés… il y a de cela tant d’années, maintenant.

- Soraya…

Un souffle qui ne trouve plus son air, mon murmure comme essoufflé, au moment où je sens sa main venir s’accrocher à mon bras pour me forcer à lui faire face. Plonger en ces prunelles de jade, contempler toute l’ampleur de nos médisances, éveille quelque chose de monumentalement effrayant, mais qui s’abat sur mon cœur, non à la violence d’une pluie fracassante, mais à la douceur d’une fine bruine s’apposant là sur les pavés de mon erratique soudainement humidifié d’un liquide qui s’apparente à de l’acide. Et Grand Dieu Tout Puissant, cela me brûle et consume de l’intérieur !

Soraya !
Comme j’ai envie de réitérer cet appel.
Cet appel à l’aide.
Mais rien ne sort. Rien ne veut sortir, me contentant que de baisser les yeux, lâche, mortifié, sur le canon de ce flingue, qu’elle me présente sous le nez et nous défie d’en étudier la pleine allégorie. Une allégorie de vérité, qui valse allégrement avec nos illusions perfides, qui elles flirtent sans pudeur avec cette petite mort quotidienne qui nous empoisonne les veines. Après chaque gorgée. Après chaque bouteille sifflée. Tous les deux fous, n’importe où. Avec nos souffrances siamoises. Avec notre travers délétères.  

L’état d’esprit.
L’état d’ébriété.
L’alcool. Encore, dans mon système, me rend vulnérable et fragile.
Les barrages cèdent. Explosent. S’écroulent. Au martèlement de ses paroles, sous la cadence, vocifère, de cette vérité plantée. Cet ultimatum, aussi rutilante que l’acier de son arme de service.  
Une larme. Qu’une délicate, mais récalcitrante petite goute d’eau salée, perle à la commissure de mon œil reluisant, pour rouler et se laisser mourir sur ma joue livide.
Soraya ne sait pas. Soraya l’ignore.
Combien de fois, après l’Afghanistan, après le décès d’Hayley, après mon divorce avec Nell, cette solution m’a effleuré… talonné l’esprit ?!  
Une tourmente que je ne souhaite à personne.
Une ébauche sanglante et lugubre que je redessine pour quiconque.
Mais voir Soraya, s’apprêter à ce genre d’horreur… inévitablement, il y a soudain quelque chose qui m’habite. Et quelque chose s’effrite.

Et je m’effondre.
Et je m’écroule.
À genoux, parterre.
À genoux, à ses pieds.
Agenouillé, face à la vérité.
Mes mains, tremblantes, qui cherchent et trouvent mon amie.
Cette amie que j’enlace de mes bras.
Cette amie, toujours présente, dans la beauté comme la laideur.
Mon visage tourmenté, sans retenu, qui se plaque contre son ventre, alors que mes bras resserrent l’étreinte et que le sanglot afflue au fond de ma gorge.  

- Apprends-moi. Apprends-moi à survivre, Soraya. Je t’en prie…

Aide-moi.
Pour que je puisse à mon tour te venir en aide.
Fous, tous les deux, n’importe où.

OLD SONGS, FLOOD AND FLAME, YOU COULD BE MINE

@DEREK MORROW & @SORAYA MCKENZIE

Face à mon ultimatum, il murmure mon nom, il reste muet pendant un temps qui me semble une éternité. Pendant cette éternité, j’ai cru des millièmes de secondes qu’il allait la prendre et se suicider, là, dans cette prison. Face à moi, horrifiée d’avoir été trop brutale mais je suis devenue comme ça depuis peu. Je n’ai jamais été quelqu’un de brutal, je suis quelqu’un de doux, qui veut réconforter les autres. Et pourtant, mon coeur s’est brisé lorsque James est mort, mon coeur n’était plus capable de douceur et là, encore, la jeune femme d’avant n’aurait jamais pu dire un truc pareil à son ami. Mais, depuis, les choses ont changé, j’ai changé et je suis devenu également l’ombre de moi-même. Si je n’ai pas autant souffert que lui, je comprends maintenant sa douleur et je ne peux que comprendre pourquoi il est tombé dans l’alcool et toutes les autres merdes possibles et inimaginables. Au fond, je deviens une boule nerveuse à l’idée de ce qui peut se passer dans sa tête, de ce qu’il pourrait faire avec ce flingue et ce que moi je ferais... Je ne le prendrais pas parce que je penserais à toutes les personnes que j’aime et qui tiennent à moi, toutes ces personnes à qui je ne pouvais pas faire une chose pareille...

Et puis, il s’effondre, d’un coup. Je suis tellement surprise que je sursaute et mon coeur rate un battement quand je comprends que mon ultimatum a marché, qu’il ne prend pas cette arme et qu’il ne veut pas se tuer, en tout cas, pas irrémédiablement. Je comprends que, comme moi, il y a quelque chose au fond de lui qui le rattache encore à cette vie, qu’il a envie de survivre, qu’il veut guérir... Il s’agrippe à moi et part en pleure, il tremble, je le sens et moi aussi je tremble, je ne sais pas si ça se voit à l’extérieur mais à l’intérieur, je tremble... Je mets mes mains sur sa tête et je lui murmure :

« Chut! Ça va aller, ça va aller ! »

Et mon côté doux revient en force, cette armure qui glisse a des effets sur moi, je m’adoucis et tente de le convaincre que tout ira. Et bizarrement, je commence moi-même à en être convaincue.   Puis, je m’abaisse à ses côtés et je lui prends le visage, lui qui vient de me supplier de l’aider, de lui apprendre à survivre... Il me supplie et les larmes me montent aux yeux, je ne sais plus quoi faire, je ne sais plus quoi dire mais j’espère aussi ce que je dois faire : l’aider...

« Je vais t’aider, nous allons nous en sortir et nous allons survivre ! Il faut qu’on commence par être honnête l’un envers l’autre et à s’épauler mutuellement ! Tu es prêt à faire ça ? Je te propose que samedi prochain, on aille à une réunion d’alcoolique anonyme ! Attention, je ne viendrais pas te chercher, il faut que tu y ailles par ton propre chef ! Il faut que ça vienne de toi sinon, tu replongeras tout de suite ! Si je ne t’y vois pas, je viendrais chez toi et tu sais que ça va barder ! »

Dis-je avec un petit sourire mais je veux que l’initiative vienne de lui, il doit faire le pas lui et pas les autres. Je peux l’épauler et être là quand il en a besoin mais je ne peux pas le forcer à faire ce travail.

« Moi j’y serais en tout cas et je t’attendrais ! »

Conclus-je simplement alors que je lui caresse le visage d’un geste tendre et plein d’amour...

:copyright: nightgaunt

THE END
sujet terminé & verrouillé.