TAKE A BITE OF THIS WORLD WHILE YOU CAN
1ère Partie1830, Crimsondale, Obsidian Kingdom, Elvendyr — Le sommeil de Maman.
Sous la cendre vive, dans les tourbillons d'une souffrance latente, par-delà les vagues d’hémoglobine et les colonnes de fumées nauséabondes, au-delà de la grise frondaison des nuées étouffées ; se dessinait dans les ruelles de la mort la silhouette d'un petit homme haut comme trois pommes. Sibelius, huit ans, et déjà un Devoir de grands à porter sur ses frêles épaules. Tout de noir vêtu, un capuchon recouvrait son visage, ne laissant dépasser que quelques mèches noires en bataille. Sa cape bien trop grande pour lui descendait jusqu'à ses bottines. Elle fendait le vent à la célérité de ses mouvements. Une ombre parmi les ombres. Dans le fracas de l'horreur. L'épidémie des tourments. Dans l'aurore boréale peinturlurée par les maux de la malédiction qui s'était abattue sur tout le royaume, le petit passait inaperçu.
Lors d'une course effrénée contre le temps, le garçon évita de justesse, avec une agilité guidée par l'adrénaline et la peur, un groupe de grandes personnes qui préparaient des barricades et toutes sortes d'armes. «
Oh, regarde où tu vas, gamin! » Une simple révérence et un maigre sourire forcé, voilà qu'il décampa aussitôt. Au crépuscule de cette nouvelle Nuit Rouge, Sibelius entendait raisonner dans sa tête les cris de souffrance qui meurtrissaient les terres arides de sa maison depuis plusieurs semaines. Son regard, aussi sombre que le spectacle qui se jouait sous ses yeux, et se jouerait plus tragique que jamais d'ici peu, transperça les ténèbres avec une détermination sauvage. Il fixa durement l'astre incandescent. Le Soleil Sang s'endormirait d'ici quelques heures et les méchants viendraient s'attaquer à eux. Sibelius avait peur. Ce n'était qu'un enfant. Il ne suivait pas toute ces histoires, ne comprenait pas grand chose de ce que racontaient les grands. Pourquoi tout le monde avait si mal et si peur ? Et ces choses, ces monstres, pourquoi ressemblaient-ils à ceux de ses cauchemars ? Il n'avait que huit ans. La seule chose qui comptait, c'était de sauver sa sœur et sa maman.
...
«
Sibelius, mon garçon, as-tu récupéré la fiole que je t'ai demandé ? » Le docteur était louche. La main du garçon se referma aussitôt, imperceptiblement, sur le manche en bois du petit couteau qu'il cachait sous sa cape. Il ne lui faisait pas confiance à celui-là. Et s'il était, lui aussi, un monstre et que... ? «
Sib, maman va très mal, ta petite sœur aussi. Elle va bientôt arriver, tu sais. Tu peux lui donner la fiole, vas-y. » Papa venait d'entrer. Il était inquiet.
...
On le fit sortir et pendant des heures, il dut rester enfermé dans sa chambre sans qu'on ne lui donne plus aucunes nouvelles. Quelle injustice. Enfin, papa vint le chercher avec la nouvelle venue dans les bras. Sibelius eut un sourire malicieux. Pandora. Elle ressemblait tellement à maman avec ses petits cheveux bruns et ses grands yeux bleus qui lisaient en vous sans même essayer. Ils retournèrent tous les trois voir maman, qui, bien que fatiguée et souffrante, se fit violence pour offrir le plus beau sourire dont elle était capable à son garçon. Il courut la rejoindre dans une étreinte que seule une mère aimante et son fils ne savaient comprendre. Durant ces quelques secondes qui semblèrent durer une éternité, il en oublia toutes les horreurs de leur royaume. La caresse d'une mère était un baume sans égal. Papa déposa Pandora dans les bras de maman. Et le tableau fut si beau. Tous les quatre, simplement heureux d’être réunis. C'était merveilleux. La seule chose qui importait. Bien au-delà de tout le reste.
Papa s'en alla chercher le docteur. Sibelius s'assit tout près de sa mère, sur le bord de sa couchette. Une unique larme de soulagement perlait sa peau laiteuse. Après un long silence à observer son premier né amoureusement, maman chuchota enfin quelque chose : «
Je suis si fière de toi, mon petit héro, tu le sais, ça ?........ tu prendras bien soin de ta petite sœur, elle aura besoin de toi. » Et ce furent tragiquement là ses derniers mots. Injustement, maintenant, elle s'en allait. Comme un coup de tonnerre en plein été. Le sourire de maman se figea dans l'espace et le temps. S'en alla, loin, si loin de ses enfants. Et c'était là. Cette soirée là. C'était lors de la Nuit Rouge, peu avant le commencement du démoniaque châtiment. Le ciel devenu pourpre et le Soleil Sang. Tandis que les montres s'éveillaient,
maman mourait. C'était là, que Sibelius avait rencontré la douleur pour la toute première fois. Le Soleil avait manqué méchamment de briller dans ses yeux clairs avant de s'en aller. Et par sa faute, ils s'étaient éteints. Endormie dans un sommeil sans rêve après un dernier baiser déposé délicatement sur la minuscule main de sa petite sœur, elle déserta la guerre, les laissant seuls avec leur père. Elle s'était suffisamment battue.
Silencieux, Sibelius prit sa petite sœur dans ses bras avec toute la douceur dont il savait faire preuve.
Il s'en allait la protéger. «
Sib, où est-ce que tu.......!!!, pourquoi tu.... » ...! Mais il n'écoutait plus. Plus rien n'avait d'intérêt, si ce n'était Pandora. «
Maman s'est endormie. » dit-il le plus naturellement du monde à son père. Mais celui-ci ne comprenait pas, il ne comprenait jamais rien de tout ça... «
Non, papa, maman s'est endormie. » Son regard croisa le sien. Et il comprit.
2ème Partie1840, San Phoenix, Obsidian Kingdom, Elvendyr — L'abandon de Papa.
La désolation de ce monde s'était éprise de ses âmes. Dix ans étaient passés, s'étaient écrasés dans le trépas d'un royaume fourvoyé. De longues années que le père, le fils et la fille passèrent à vagabonder dans tout Elvendyr -ou presque- sans prendre le risque de se poser une seule fois.
Fuir et ne jamais se retourner. C'étaient là les mots de papa. Plus qu'un dicton, il était devenu mantra. Pas question de vie, mais de survie. À chaque jour qui se levait, chaque minute qui s'écoulait, à chaque cri un brin trop suspect, chaque sourire beaucoup trop parfait. L'arme tranchante prête à éliminer la chair du mort ou du vivant peu importe les circonstances. Papa avait élevé ses enfants comme deux puissants guerriers. Ils savaient se battre, mais pour lui, la fuite restait toujours la meilleure arme de ses deux soldats.
Sibelius en eut rapidement assez.
Il avaient vagabondé dans tout Elvendyr sans se poser......... peut-être que, dorénavant, les temps devaient changer. Fuir ? Et pourquoi tant de lâcheté ? Toute cette colère noire n'était pas née pour se cacher. C'est ainsi qu'ils élurent domicile à San Phoenix. La capitale. Dernière rempart de l'humanité. Merci Sib' et sa détermination indicible. Au plus près du Mal de leurs terres natales, ils étaient enfin là où il devaient être pour prendre part à la reconquête d'une terre. La leur. Et ces vampires, ces monstres sanguinaires, ces pourritures sans âmes... n'étaient voués qu'à disparaître. Quelle apocalypse infernale. Sibelius brûlait de cette rage vindicative.
Un jour ou l'autre, il ignorait bien quand ni comment ; ils mourraient tous.Là-bas, Sibelius se détachait de plus en plus de la surprotection paternelle étouffante qui l'avait retenu durant toute son enfance. Il prenait part, à sa manière, à chaque combat, à chaque réflexion de stratégie, à chaque sortie hors de la zone, toujours armé de ce désir profond de faire vaincre le bien qui habillait, autrefois, tout Elvendyr d'une parure flamboyante de paix. Sa famille ne voyait rien de tout ceci d'un bon œil. Ils s'inquiétaient..... Mais ne comprenaient rien. Il se battait, lui. Il aimait de tout son coeur son royaume. Quel mal à vouloir sauver le monde ? Il ne laissa de toute manière personne entraver sa quête, pas même Pandora, sa précieuse petite sœur. Il trouva sa place au sein d'un petit groupe de résistants indépendants auquel il ne fallait pas toujours -jamais- faire confiance. Il transgressait bien des limites, prenait beaucoup trop de risques sous prétexte que son don de chance lui assurait de ressortir "à coup sûr" de tous ses déboires. Ses compagnons d'armes étaient des criminels de toutes les sortes, et de tous les ages ; d’irascibles raclures qui n'avaient plus rien à perdre et qui avaient trouvé en la malédiction une raison valable pour flinguer tout ce qui bougeait : y compris leur vie. Ces sales types servaient inconsciemment les intérêts de Sibelius, le reste n’avait aucune importance pour lui.
...
Les décibels grimpaient et la colère brillait de mille feu dans les onyx de Sibelius. Ce n'était là que l'énième combat du fils et son père. Si seulement il avait su, à cet instant précis, qu'il était question du
dernier. «
Très bien, puisque tu ne veux pas m'écouter : je viens avec toi. » Le Silence s'était imposé, royal. La bouche entre-ouverte, le jeune homme observait son père d'un œil révolté. «
Mais oui, c'est ça, bien sûr.... Retourne jouer à trois petits suceurs de sangs avec Pandora, on verra après, 'Pa.... » le railla-t-il enfin dans un soupir sans fin de sale gosse insolent. Il alla contourner son aîné lorsque ce dernier prit sa manche pour l'arrêter. «
Ce n'est pas en agissant aussi bêtement que tu vas protéger ta petite sœur, Sib', et tu le sais aussi bien que moi. Ta mère n'aurait jamais voulu ça. » Des paroles totalement dépourvues de colère. De la sagesse, toujours de la bonté et une douleur, une inquiétude prenante pour son enfant. Il ne savait pas s'énerver, il avait la sérénité ancestrale des verts. Natif de la terre. Un pauvre cliché..... et c'en était tellement agaçant pour Sibelius. Fou de rage, il se défit de son emprise violemment. «
Comment tu......... t'as pas l'droit de me dire ce que maman aurait voulu, t'en sais rien du tout. Les morts, ça parle pas..... Et c'est bien pour ça que j'fais ce que j'fais. Pour qu'ils n'parlent plus jamais ! »
...
Des hurlements. Un froissement de cape. Un dernier souffle de douleur. Et pourtant un sourire rassurant naquit aux miroitements des tourments.
Papa. Et du sang....... tellement de sang. En plein cœur des ténèbres, la mort fleurissait si vite.
Il n'aurait jamais du le suivre cette nuit là.
Papa.Ça n'aurait jamais du se passer comme ça.
Putain, Papa.
Il avait définitivement hérité de son obstination insupportable.
Papa, c'est bon, maintenant.
Qu'est-ce qu'il foutait là ? Il avait laissé Pandora toute seule là-bas ?
J'arrête, j'arrête tout, c'est promis..... mais réveille-toi, maintenant!Il le détestait, si fort, il le haïssait tant.
T'as pas le droit de dormir, toi! pas comme ça, pas maintenant, JAMAIS, TU M'ENTENDS ?! je te laisserai pas t'en aller... je.... je t'interdis de....Papa..... ?Mais enfin. Sibelius, tu le sais. C'est toi que tu hais.3ème Partie1845-53, San Phoenix, Elvendyr, Obsidian Kingdom — La décision de Pandora.
1845
Maman dormait. Sibelius avait compté. Cela faisait exactement vingt-trois ans, trois mois et dix jours. Papa, lui, n'était plus là, mais pour lui, le temps ne comptait pas. Son heure n'était pas venue cette nuit de sang ; alors son fils s'était refusé catégoriquement de le pleurer. Pandora, quant à elle, en fut dévastée à s'en rendre malade de dépression les premières années... Heureusement, elle sut se relever, notamment grâce au soutien inébranlable de son aîné. Surprotecteur avec sa petite protégée, il en venait très facilement aux poings et aux armes lorsqu'il était question de régler un affront, petit ou grand, fait à son égard par le plus dangereux des guerriers ou le plus fragile des pépés. On ne touchait pas à Pandora. Tout le monde savait ça.
Sibelius était là pour Pandora.
Pandora était là pour Sibelius.
Cela semblait si naturel.
Une connexion immortelle.
Le frère et la sœur.
La sœur et le frère.
Liés par bien plus que le sang qui coulait dans leurs veines. Les cœurs battaient la chamade à l'unisson à chaque seconde de leur existence, l'Histoire tragique jonchée de déboires qu'ils partageaient en silence au beau milieu du fracas des armes et des hurlements déchirants des mourants. Des souffrances qu'ils étaient seuls à comprendre. Des blessures qu'ils étaient seuls à entrevoir.
Le feu et la terre.
Les dernières lames d'une guerre.
1853
—
Sibelius, tu veux pas m'écouter pour une fois, au lieu de tout de suite t'énerver ?!......., je te dis juste qu'on pourrait au moins essayer d'y aller, ça coûte rien, pour visiter et puis les aider comme on le fait ici.... papa est né à Willow Fall, et, comprends moi au moins, j'ai hérité de son élément, j'ai besoin de savoir certaines choses, de comprendre...—
Ça suffit, Pandora. C'est ici notre maison. C'est ici qu'est notre place. Tu t'écoutes parler, franchement.... visiter... ? Écoute, chacun sa merde. On a suffisamment à faire ici sans en plus aller se battre contre des clébards...—
C'était Crimsondale notre maison ! Et regarde toi, frangin, tu prétends te battre en notre nom à tous, pour notre royaume, tu nourris une rage innommable pour les vampires, mais tu ne fais que te défouler rageusement en espérant, quelque part au fond de toi, y rester pour de bon un jour ou l'autre. Je te connais, Sibelius, quand est-ce que tu vas arrêter de te punir et de te cacher derrière ta colère ? Je sais que tu crois te battre pour moi, mais tu te perds surtout dans ta quête de vengeance. Celle de papa..... Et je ne veux pas te voir comme ça. Viens avec moi, allons là-bas !Les yeux feu rencontrèrent les yeux terre.
Lentement, les flammes se propagèrent.
Enfin marquera de ses maux Sibelius, ta brûlure.
—
Si tu me connaissais si bien que ça, sœurette, tu saurais que si je t'ai protégé tout ce temps, ce n'était que pour tenir ma promesse à maman... Je n'avais pas le choix. Toi tu l'as aujourd'hui. Si tu veux te casser et tout abandonner comme notre père, vas-y, mais je ne viendrais pas avec toi.—
Alors....... adieu.Le souffre de la fumée devint intenable. Les cœurs se déliaient, se fissuraient, tout doucement, les chaines de l'amour fraternel tombaient, s'évaporaient, trop lourdement. Les larmes fleurissaient dans l'âme de la native de la terre et le feu prit à cœur d'étouffer celle de Sibelius. Elle irait retrouver dans l'Ailleurs son père sur ses terres. Il continuerait de se flinguer à la guerre dans la sécheresse des siennes.
Plus jamais il ne la reverra après ce jour.
Morte, portée disparue, transformée en l'un de ces monstres...... Il ne saura jamais ce qu'il était advenu d'elle.
Par sa faute, un énième membre de sa famille l'avait quitté.
Ils partaient, les uns après les autres.
Seul.
Ce n'était plus qu'une question de temps avant que lui ne s'en aille à son tour.
4ème Partie1853-56, San Phoenix, Elvendyr, Obsidian Kingdom — Les ténèbres de Lysandra.
Ce fut au cours de cette même année, l'Enfer de la Solitude et de la Culpabilité. Sibelius était seul depuis de longs mois. Plus rien ne le retenait dorénavant de plonger la tête la première dans ses folies, ce qu'il fit sans se poser de questions. Et tout avait changé. Le sens de sa vie, la passion de ses actes, l'horreur de ses maux. Il ne se battait plus pour personne et ce détail faisait toute la différence. Caché depuis son plus jeune age derrière son devoir de préservation des siens; il n'avait vécu que pour eux et à travers eux.
Mais lorsqu'on n'avait plus personne à protéger d'un monde noir et las, pour qui devions nous nous battre ? Et comment pouvait-il excuser ses crises de colères sanglantes maintenant ? Il ne le pouvait pas, alors il ne le faisait pas, ne s'en importunait même plus. Sibelius changeait petit à petit. Il se moquait des risques imbéciles qu'il prenait et vomissait toute cette tristesse qu'Elvendyr lui foutait dans la gueule depuis la nuit des temps. Il en avait avalé suffisamment pour en être plus qu’écœuré ; de tous ces fragments mélancoliques, de toute cette vie jonchée d'échecs et d'injustice, de tout ce sang, toute cette peur. Il était une bombe à retardement que l'on maniait avec crainte et ou amusement. Un bon guerrier un brin trop chanceux avec son don qu'il prônait comme la réponse à tout, un résistant déjà damné pour la plupart de ses camarades mauvaises langues.... On entendait pas mal de chuchotements à son sujet. On parlait de lui comme d'un futur macabé, un triste taré qui voulait sauver le monde et qui finirait par crever. Comme tous les autres avant lui. On ne lui donnait plus que quelques années, quelques mois tout au plus avant de se faire charcuter par l'un de ces monstres, ou d'en devenir un à son tour. Et puis, sans sa sœur, son double féminin, sans son garde-fou : Sibelius n'était rien.
Ils pensaient tous qu'il allait crever, pfff....
Ils avaient sans doute raison.... ?
Ils avaient parfaitement raison....
Sibelius avait accepté de prendre part à une nouvelle quête. Pas de ces grands combats à mort, mais de celles qui permettaient aux vivants de vivre.... ou de faire semblant qu'il était encore possible que ce mot ait un sens. Il ne réfléchissait jamais trop longtemps avant de sortir dehors. Le danger était une drogue incroyable, sa toute dernière alliée.
Elle s'était posée à quelques centimètres de lui. Elle était là, et, lui, déjà parti. Toute son énergie, toute sa volonté, toute la chaleur de son âme.... elle avait absorbé ce Tout, ce plus Rien qu'il cachait aux noirs tréfonds de ses songes. En un seul regard d'acier, en un faible sourire d’ange déchu elle l'avait vidé d'absolument tout. Sans même le goûter, l'être maléfique savait dors et déjà quel délicieux festin Sibelius serait. La pièce s'était refroidi avec son cœur et toutes ses couleurs. Il voyait ébène, ne voyait plus qu'
elle.Pour la toute première fois, il observait en détail, il voyait réellement à quoi pouvait bien ressembler l'une des leurs. Un monstre terrifiant, et si sublime en même temps. Le conflit était vil, la manipulation le prenait au cou. Ce n'était qu'une question de magie. L'on ne pouvait rien face à elle. Et malgré toute la peine, il n'arriverait jamais à se laisser aller à la rage de vouloir la terrasser. Elle avait déjà choisi son nouveau jouet. Cette nuit là, il était déjà à elle.... pour bientôt, mais le jeu ne faisait que commencer.
Le temps reprit enfin son cours. Elle l'avait décidé ainsi, s'était éloignée un peu de lui en riant. Le cristal d'une voix trompeuse. L'instant d'après, le regard du brun s'en alla tout près de l'épaule de la charmante chose, sur une étagère où trônait un vase doré. Celui qu'il lui fallait. Le monstre suivit du regard l’intérêt de son jouet. «
C'est ça que tu veux, petit héro ? » Elle avait ri, et lui pleuré. Une unique larme pour maman. Cela faisait si mal. Si longtemps.... Comment aurait-elle pu deviner ? Cette chose.... cette.... Il sentit le poids du vice du Mal l'écraser, étouffer jusqu'à ses moindres désirs de vivre encore un peu, juste un peu.... au dernier souffle de l'Homme, le vase bascula et tomba entre ses bras. Elle souriait. Il ne la voyait pas. Il ne voyait plus rien que la Nuit et sa douleur. «
Tu es doué, dis moi. Allez, je t'emmène avec moi...... chuuut, ne fais pas de bruit..... ça va aller. Je vais prendre soin de toi. »
...
Sibelius entra dans ce rayon de pure lumière lunaire... sans ne rien ressentir. Pas le moindre frémissement de sentiment. Autour de lui, les nuées de sable dansaient comme un essaim de guêpes excitées par la menace d'un intrus. Il leva la tête vers la lune qui devait se trouver quelque part au bout de ce tunnel de clarté éblouissante et de sable tourbillonnant. Ses yeux clignèrent au passage des grains de sable, mais le natif du feu résista à l'envie de fermer les paupières. Il allait mourir ici pour laver de son sang la tache que laissait sur un nom ce crime horrible qu'on appelait l'échec. Il allait mourir ici car il n'avait pas réussi à prendre soin des siens, de son royaume. Il était un raté. «
On va rentrer à la maison, mon petit héro, tu as fait ta balade de l'année. C'est terminé. » Son regard penaud croisa celui démoniaque de Lysandra qui était apparue en un éclair à ses côtés. Elle était là pour lui. Elle prenait soin de lui. Elle était son dernier repère, mais elle lui faisait si mal..... Était-ce comme cela que devait se vivre l'Amour ?
...
Deux ans qu'il était là. Deux ans qu'il vivait à demi-mort. Il ne saurait bien dire où. Derrière les barreaux de cette prison chez la
chose, la belle Lysandra. Lysandra disait que cette horrible cage était sa chambre. Les choses avaient tant changé en si peu d'années. Son combat pour Elvendyr s'en était allé et sa rage monumentale s'était évaporée. Il ne pensait plus à Maman, à Papa, ni à Pandora. Un jour ou l'autre, il mourrait, il l'avait simplement accepté. Demain, peut-être après demain. Quelle importance ? Il ne vivait plus que pour
elle, pour ses manipulations. Il l'aimait de toute son âme. Il en était si certain. Lysandra refusait d'y croire car il refusait lui même d'admettre qu'elle n'était pas ce
monstre que lui voyait. Il en avait conclu qu'elle le punissait pour cela...... parce qu'
elle l'aimait, elle aussi..... mais..... La magie noire ne savait que corrompre. Il n'avait plus conscience de rien.
Sa vie ne tenait que sur les décisions instables d'une vampire psychopathe qui s'alimentait de la douleur de son jouet. Une satisfaction insatiable, bien plus séduisante qu'une goutte de sang. La roulette russe à chaque réveil, peut-être se déciderait-elle enfin à le tuer aujourd'hui.... ou à l'aimer ? Ou alors continuerait-elle à se jouer de lui, un peu, l'humilier, toujours plus, le torturer, plus profondément encore, le saigner avec lenteur ou même l'affamer avec un subtil appétit... Une multitude de possibilités. Elle ne manquait pas d'imagination. Mais lui n'avait plus tant de saveur. Un misérable pantin inanimé en proie au syndrome de Stockholm. Il se laissait bercer le soir par des hurlements de terreur et des rires cristallins.
C'était un cauchemar. Pourtant tout n'était pas si mort et inexpressif. Il y avait bien une jeune femme qui le forçait à garder une once d'humanité, à sans cesse le réveiller et lui dire de tenter l'évasion à ses côtés. Au départ, il avait voulu qu'elle soit épargnée. Il n'aurait jamais imaginé que ses supplications se retourneraient contre lui. Il ignorait superbement à ce moment là quel énième plan diabolique avait élaboré la vampire.
L'inconnue était une native de la terre, Lysandra l'avait enfermé dans la cellule voisine. Elle savait jouer avec la nature et prétendait être une herboriste. Au point où il en était arrivé, Sibelius se moquait pas mal de ce que cette imbécile pouvait bien lui raconter. Mais elle parlait chaque minute, riait chaque instant du pitoyable sort de leur existence, et parlait encore et toujours plus... et lui n'avait pas d'autre choix que de l'écouter. Ah, ce qu'il ne supportait pas les natifs de la terre..... Il n'avait jamais pu.
...
Une nuit, il la sentit arriver. La Fin. Elle se balançait là, si irrésistible de charmes. La faux à la main. Elle n'attendait plus que lui, qu'il se cambre et s'abandonne à elle.
Ce qu'il fera sans un mot.
Lysandra l'avait guidé jusqu'à sa chambre, à elle, dans les tours du château. La vampire descendait d'une famille royale et avait hérité de la plus belle demeure des environs. Les lieux ne manquaient pas d'impressionner Sieblius. Mais ce ne fut que de courte durée, bien trop hypnotisé par son amour fallacieux pour le monstre, il ne vit bientôt plus rien d'autre que ses beaux yeux et n'entendit plus que ses mots doux.
La fraîcheur mortifère de sa peau contre la sienne. Ils s'aimèrent toute la nuit durant.
Et au beau matin, au clair Soleil des terres arides d'Obsidian Kingdom,
Sibelius n'était plus....
Une nouvelle année était passée. L'Homme était mort et le Monstre était né. Clarence avait assisté à sa déchéance et devint sa plus douloureuse tentation..... mais paradoxalement également sa plus proche alliée. La nouvelle lubie de la psychopathe avait été de torturer son jouet en l'assoiffant et en l'exposant à la vue d'une humaine au pouls battant à tout rompre. Miraculeuse idée effroyablement cruelle. Il souffrait comme il n'avait jamais souffert. Mais, au moins, certains aspects avaient cessé de le ronger. Comme disparus. Les sentiments, tels que l'amour, l'empathie, l’intérêt même pour autre que lui.... Le petit jeu malsain de Lysandra finissait bien par se retourner contre elle car, désormais, Sibelius voyait clair. Il la haïssait comme il n'avait jamais tant haï un monstre avant elle.
«
Sibelius, écoute moi, c'est le moment ou jamais ! »
Sibelius poussa un soupir las et se retourna en grognant dans sa paillasse qui lui servait de lit. «
Bon, tu vas la fermer quand exactement, vieille branche ? » souffla-t-il de sa voix d'outre-tombe (littéralement) sans même prendre la peine d'ouvrir un œil. «
Arrête de t'exciter comme ça, par pitié, ton cœur bat trop fort, et ton sang...... argh, tu ne vois pas que c'est pas le moment pour tes beaux discours pleins de sagesse et d'espoir ?! » qu'il ajouta en se levant drastiquement du sol à l'aide de sa super-vitesse pour venir poser son front tout contre le mur de son étroite prison. Dos à la native de la terre, il pouvait laisser les traits durs de son visage former une grimace. Les reflets ravageur d'un monstre en proie à une détresse sans nom. D'une âme morte, il ne pensait qu'à une seule chose : la croquer.
Seulement Clarence avait eu raison ce soir là.
Le moment était parfait.
Les deux prisonniers s'évadèrent durant la pleine lune.
...
Éclairs d'adrénalines. La fuite des prisonniers dans l'obscurité des Enfers. Leurs visages et leurs mains ensanglantés. Intentions immaculées. Un tumulte de frénésie. Chemin de peur, chemin de croix, chemin de courage et de choix. Des cris à gorges enflammées d'où rugissaient de terribles lions, des décibels en feu. Arrachement des entrailles. Et soif inassouvie. Douleur absurde, gratuite, enflée de traumatismes. La lune, meunière de nuit, courtisane caroline, funambule somnambule au-dessus de l'abîme.Un couteau de noirceur traversa la voix du vampire quand le mythe que composait leur fuite explosa à la belle lune.
Le sacrifice consenti de la
bête sans merci.
—
Dégage de là, maintenant, avant que je fasse une connerie !—
Calme toi, Sibelius, regarde moi. Doucement..... Je sais que tu ne me feras aucun mal, j'ai confiance en toi, maintenant on peut s'en aller ensemble, nous sommes libres.... je.... je peux t'aider.—
MAIS PAUVRE CONNE, DEGAGE DE MA VUE! TU NE VOIS PAS CE QUE JE SUIS DEVENU? TU T'IMAGINAIS QUOI ? QU'ON ALLAIT SE PRENDRE DANS LES BRAS ET QUE TOUT RENTRERAIT DANS L'ORDRE ? C'EST CA?? JE VEUX PLUS TE VOIR, TU COMPRENDS, CA ?? VAS T-EN, FUIS!—
Sibelius, je peux pas te laisser....Une lueur de lumière sous un nœud de douleur dans le regard ombré de la jeune demoiselle.
La désolation rayonnante de l'espoir en peine.
A la croisé des chemins, elle pleurait à chaudes larmes la perte d'un frère d'âme.
Mais une tornade infernale poussa le plus téméraire des deux amis à briser les chaines protectrices qui les liaient encore sous la pluie. Des bruits de grognements de bestiaux issus d'un buisson non loin des geôles du château de Lysandra se firent entendre. Il leur fallait prendre une décision. Et maintenant. Sibelius, au gré du peu de forces qu'il lui restait, la tira avec lui à toute allure dans la clarté délabrée du maelström ensablé. Il la poussa contre le tronc d'un arbre, son visage à quelques millimètres de celui de sa proie......, non, de son
amie.
Bordel. Son esprit ne se focalisait que sur ce manque qu'il n'avait jamais pu combler par la faute de leur tortionnaire. Le sang, le sang, le sang, cette soif qui le rendait dingue et lui faisait perdre toute raison.
—
Prends ce chemin, il te mènera tout droit à San Phoenix. Après, tu feras ce que tu voudras, rentrer chez toi, ou pas.... peu importe..... ne te retourne pas. Jamais. Tu m'entends ?!—
Oui, Sib, je...—
La ferme. Laisse moi parler, Clarence. Je te remercie.... pour tout ce que tu sais. Mais toi et moi, on ne se connait que dans la terreur, ça ne pouvait pas se finir autrement. Je ne me laisserais jamais te faire de mal, à toi ni à personne d'autre portant ton nom. Maintenant que la vie n'a plus aucun sens à mes yeux, je vouerai le peu de mon éternité à vous protéger, toi et ta lignée de dégénérés. Flowery..... quel nom stupide.... Un sourire rieur, plus franc, plus beau que jamais. Le dernier.
Elle, riait de ses bêtises. Au torrent de peine qui inondait leurs deux cœurs, la promesse du vampire fut scellée.
Pas à pas, il s'éloignait d'elle, ne la quittant pas du regard. Il la quittait, pour mieux la retrouver nulle part, pour, peut-être, mieux lui rendre tout ce qu'elle lui avait apporté.
Adieu Clarence, tu étais toute mon espérance.5ème Partie2019, Revealdown, Planet Earth, Floride — La renaissance de Sibelius.
Ahh le passé, le passé, vous, les humains, vous y attaché beaucoup trop d'importance si tu veux mon avis... Pourtant, petite chose, la seule chose qui importe vraiment, c'est ce que tu choisis de faire maintenant. Admire comme j’excelle dans cet art excessif qu'est le Plaisir à outrance et ce malgré mes treize petites années d'existence...... - oui, je sais, je ne les fait pas, on me le dit très souvent. - Mais regarde toi, bon sang, comme tu es si insignifiante face à moi. Humaine, tes sentiments te bouffent le cœur, ta faiblesse physique te rends aussi vulnérable qu'un chiot et tu ne possèdes aucun semblant de pouvoir.... Comme tous tes congénères, tu es prêtes à tout, mais tu n'es bonne à absolument rien...... Ou peut-être si, à mon bon loisir. Maintenant, si tu le permets, je vais me faire un Plaisir de te déguster jusqu'à ta dernière goutte de vie. Bon appétit.
Et que la nuit éternelle soit ton salut.