La dernière fois que j’avais eu des nouvelles de ma grande amie Freydis – c’était ce mystérieux soir où j’avais croisé un petit groupe de natif et d’humains dans le centre de Magnolia Light. Que me rappelais-je de cette ignoble soirée ? Pas grand-chose pour tout dire. Je venais de quitter le bar du village et je ne voyais à peine devant moi. Enfin, tout le monde continuait à être bien occupé dernièrement et je m’épris d’apprendre que ça n’allait pas très fort pour ma bonne copine. Pourquoi ? Je n’en avais aucune idée – juste qu’un des villageois de mon village qui connaissait sa famille m’en avait glissé un mot. Je ne devais pas bosser en ce vendredi soir – c’était ainsi le meilleur moment pour moi de rendre une petite visite à celle que j’appréciais comme ma propre sœur… enfin… plus que ma propre sœur sachant que la petite garce se retrouvait maintenant à être mariée avec l’homme dont j’étais fiancée autrefois. Je savais bien que nous avions beaucoup à nous dire même si la découverte du portail vers Revealdown datait de quelques mois maintenant et que je commençais à me faire à cette idée, mais bon… rien ne m’empêchais de conserver une folle rancune envers ces êtres que j’avais autrefois aimé. Comment devais-je prendre le fait qu’on m’appelait Tantine au lieu de maman ? Un coup bas, surtout que de mon côté, j’avais repoussé toutes les relations qui s’étaient présentés à moi depuis les trente-neuf dernière années. Et tout ça pour de la grosse merde… Hum… je vais m’arrêter là sinon je vais piquer une crise.

Je venais d’arrêter au marchant d’alcool où je m’étais fait une réserve en produit du terroir. Une bouteille de vodka et trois bouteilles de vins. J’étais finalement prête pour rendre une petite visite à Freydis. Je lui avais envoyé un coursier au début de la semaine pour l’informer de notre rencontre de ce soir. Aucun retour, mais je gardais espoir qu’elle serait de la partie. Un claquement de doigt et me voilà téléporter de Magnolia Light au village vibrant de San Phoenix. Tout comme par chez lui, il faisait plutôt chaud là-bas. Le soleil commençait à faiblir dans le ciel, mais ça ne m’empêchait pas d’abhorrer encore mes lunettes de soleil hors de prix que je m’étais procuré dans une boutique de Revealdown justement.

D’un visage des plus blasés, je tenais mon sac contenant mes bouteilles d’une main et une bouteille de jus d’orange de l’autre. Je toquais à sa porte en attendant une réponse de sa part. J’avais bien hâte de pouvoir discuter avec Freydis. Nous nous entendions tellement bien et ça faisait un bail. Elle me manquait.

Healing hands

ft. Autumn

(C) CSS by Disturbed.

Parfois j’ai l’impression que le poids du monde repose sur mes épaules. Il y a mes responsabilités – celles que je possède réellement et celles que je m’approprie souvent par défaut, ainsi que mes peurs, ma culpabilité et ma peine refoulé. Dernièrement, elles pèsent toutes considérablement plus lourd qu’à l’habitude. C’est étrange. J’ignore si c’est moi qui s’affaiblit, ou si ce sont elles qui prennent de l’ampleur. Et je tente de demeurer d’aplomb malgré la charge. Encaisser. Encaisser. Encaisser. C’est tout ce que je sais faire. Mais petit à petit mes os ne supportent plus ce poids grandissant que je porte comme un fardeau obligatoire. Je les sens se fissurer, se craqueler, et je guette le moment où ils se rompront, immanquablement. Mais, ne suis-je pas à toute épreuve? Du moins, c'est ce qu'on dit. Alors je guéris au même rythme que mon corps se dégrade, j’essaie de reprendre le dessus afin de refermer chaque plaie que les événements ont laissé… mais… en fait, non, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. J’aimerais que mon âme guérisse aussi facilement que mon corps, mais ce n’est hélas pas le cas. Cependant j’aime croire que je suis intouchable. J’encaisse. Encore et encore.

Mais aujourd’hui… je craque.

Des blessures que je croyais guérit et cicatrisées avec le temps, se révèlent ce soir comme de véritables plaies béantes, vulnérables, dévoilées au grand jour. Dans ce bazar émotionnel il y a mon père. Il y a Illyria. Il y a tout ce que j’ai perdu dans cette lutte contre les vampires et toutes les conséquences vers lesquelles mes choix et mes actes on conduit ces dernières années. Il y a aussi ma fille, sa condition et le fait que je ne suis jamais foutu de lui offrir la sécurité que je souhaiterais… que je devrais. Et même deux ans après sa mort, Callum me manque. Sa façon de voir les choses, sa voix rassurante, sa confiance en moi, qui venait combler celle qui manquait parfois de mon côté. Il me complétait, en quelque sorte.

Que dirait-il s’il était toujours là? Lui qui avait toujours les bons mots pour chaque situation…

Callum ne participait pas activement à cette lutte contre les vampires. Il était avant tout quelqu’un de doux et de prudent. Pas comme moi. Mon don m’a souvent poussé à commettre des actes imprudents sur le coup de l’émotion. Je crois que c’est parce que je ne possède pas cette crainte de mourir qui habite généralement la plus part des individus, tout mondes confondus. Ma plus grande peur demeure celle de perdre un être cher et c’est mener par cette crainte qu’il m’arrive parfois d’agir de façon irréfléchi. Callum aussi aurait fait l’impossible pour Gyda et moi… en fait, il a toujours été là pour nous. Il aspirait à ce que nous puissions mener une vie de famille normale, paisible… le ranch c’était d’ailleurs son rêve. Il adorait les chevaux depuis son plus jeune âge. La pensée qu'il aura au moins eu le bonheur de voir son rêve se concrétiser avant sa mort me réconforte. C'est sans doute pour cette raison que je continue de m’occuper de ce ranch que nous avons bâti ensemble… c’est comme si Callum continuais de vivre à travers ces bêtes dont je m’occupe chaque jour. Je le vois à travers elles. Habituellement ça me fait du bien…

Mais aujourd’hui ça me fais un mal de chien.

Après avoir rentré les chevaux dans leur enclos à la fin de la journée, je suis monté à « notre » chambre et j’ai sorti une boîte de souvenirs sur le lit, avant de m’endormir le nez enfouit dans l’une de ses vieilles chemises, bercer par le souvenir à la fois doux et déchirant de ce parfum que j’avais oublié.

*   *   *

Quelques coups donnés à la porte.
Enfin, c’est ce que je crois entendre.

Mes yeux s’ouvrent spontanément, se retrouvant aussitôt noyés d’une lumière aveuglante dont ils sont agressés et à laquelle ils répondent en plissant les paupières. Après quelques clignements, je me redresse sur mon lit et jette des coups d’œil autour de moi, comme si je cherchais à comprendre comment j’avais pu atterrir ici.

Qu’elle heure est-il ?
Encore quelques coups qui viennent d’en bas.
Je réalise alors que je n’ai pas rêvé… il y a vraiment quelqu’un qui cogne à ma porte. Au vue des récents événements, je me précipite aussitôt vers mon dressing pour en sortir une boite, que je dépose par terre et m’empresse d’ouvrir. Avec des gestes pressés, je sors mon arbalète et l’arme d’une flèche. Je dévale l’escalier d’un pas qui se veut aussi discret que possible et j’avance dans le hall en direction de la porte d’entrée. Mon cœur bat à tout rompre alors que je tends la main vers la poignée, mes doigts hésitant à la dernière secondes… comme s’ils allaient s’y brûler.

J’ouvre la porte à la volée en pointant mon arme vers ce visiteur tardif…
Mais il n’est pas celui que je craignais. À la vue d’Autumn, mes doigts se décrispent de sur mon arme et je mes poumons se vident de soulagement, alors que je baisse mon arbalète en soufflant :

- Autumn… mais qu… Mes yeux se promènent de son visage aux objets qu’elle tient – un sac contenant des bouteilles d’alcool et un carton de jus d’orange. Ça me reviens... nous étions sensé nous voir aujourd’hui. Elle m’avait envoyé un messager, mais j’étais tellement débordé que cette information ne s’est pas frayé un chemin définitif dans mon cerveau. Je ferme les yeux et serre les dents en grimaçant face au degrés de pathétisme dont je fais preuve.… Oui… notre soirée. J'avais complètement oublié… Dis-je en baissant les yeux, enfouissant une main dans ma chevelure, agrippant la racine de mes sombre mèches.

Je restais ainsi là à attendre comme une conne que mon amie daigne venir me répondre. « Ouais… tu te laisses attendre ma petite Freydis. » Soufflais-je en soupirant pour finalement entendre des pas s’approcher de la porte. Un léger sourire en coin et un regard surpris face à l’arme qu’elle pointa sur moi aussitôt la porte d’entrée ouverte. L’un de mes sourcils bondit en l’air tandis que je me mordillais la lèvre inférieure de surprise. « Faut apprendre à te détendre Frey ! Je ne viens pas pour te bouffer. » Dis-je avec ironie. De ce qu’elle m’expliquait, elle avait complètement zappé notre petite soirée. Un roulement de yeux et je fonce d’un pas déterminé vers l’intérieur de sa maison. Je lève avec souplesse mon sac et la contourne sans attendre la moindre invitation de sa part pour aller directement poser le tout sur la table. « Bon, même si tu avais OUBLIÉ que je passais, j’espère que tu as bien préparé ton foie parce que je ne repartirais pas avant que mes bouteilles soient vides. Enfin, tu bois, tu ne bois pas, rendu là ça ne change pas grand-chose pour moi, mais moi, j’ai besoin d’avoir le tournis avant de m’envoler vers la maison. » Je faisais à mon aise, allant jusqu’à l’armoire pour y attraper deux coupes de cristal que je posais sur le table. Je débouche le dessus de la bouteille pour y verser une partie du liquide dans chacun des verres et m’empresse de boire une bonne gorgée du mien, sans même tendre celui à mon amie. Je relâche ainsi la tension de mes épaules et souriant grandement. « Ahhhhh ! Ça fait du bien. J’ai rêvé de ce moment toute la journée. » Je me pose finalement sur la chaise en désignant le verre du regard. « Allez sweetie. Bois. » Je fis signe avec mes deux doigts pour qu’elle prenne une bonne gorgée de son vin. Je n’avais pas amené tout ça pour boire seule non plus même si ça ne s’avérait pas être un souci.

Je sens le stress et la panique se dissiper brusquement. Ils me laissent en plan! Et vlan! Rapidement je suis happée de plein fouet par ma réalité. La chute d'adrénaline me rappelle à quel point je me sens misérable, ravivant instantanément cette douleur vive et cette sensation de lourdeur qui m'avaient, tout à l'heure, accompagné jusqu'au sommeil. Autumn est ma plus vieille amie – avec ses mille six cent cinquante ans, c'est le cas de le dire – et sa compagnie ont généralement tendance à dissiper momentanément mes problèmes... bien que ce ne fût pas toujours le cas. Il fût un temps où sa présence était synonyme d'angoisse et de mécontentement. Disons qu'à l'époque où j'étais une jeune adolescente, révoltée contre Elvendyr tout entier, il se pourrait que je lui ai reproché à quelques reprises de ne pas être en mesure de soigner convenablement mon petit ami malade. Il faut dire que nous vivons dans un monde où certaines personnes – incluant Autumn – ont la capacité de guérir les autres, et ce, d'un simple toucher. Essayez alors d'expliquer à une jeune fille que ce même toucher si miraculeux n'est hélas pas en mesure de sauver son grand amour. Il y a de quoi crier à l'injustice!

Je lui en voulais tellement!
Difficile de croire que l'on soit aujourd'hui meilleure amie.
Les épreuves ont tendance à rapprocher les gens... Ce fût notre cas.

C'est Autumn qui a découvert, il y a plusieurs années, que mon sang avait des propriétés guérisseuses chez les autres individus. Et c'est aussi elle qui a suggéré que l'on tente une transfusion sur Callum. Mon sang ne l'a pas guérit, hélas, mais ses effets se sont avéré beaucoup plus notables que le toucher guérisseur d'Autumn (ou de n'importe qui d'autre), du fait qu'il se sentait beaucoup plus détendu et en confiance avec moi... alors son propre pouvoir d’Immunisation ne le mettait pas en mode ''défense''. Par la suite, elle m'a enseigné comment installer une perfusion, afin que je sois en mesure d'effectuer moi même mes transfusions, advenant une situation d'urgence où je devrais soigner quelqu'un. Depuis ce temps, j'ai pris l'habitude de toujours traîner dans mon sac quelques fournitures médicales – qui m'ont plusieurs fois démontré leur utilités.  

À la mort de Callum, il y a un peu plus de deux ans, Autumn s'est montré d'un grand support morale. Comme je l'ai mentionné plus haut, sa présence et son humour ont tendance à dissiper momentanément mes soucis.
Ce soir n'en fera pas exception, je le sens!

C'est bon de la voir. J'aimerais le lui dire et le lui démontrer, mais les muscles de mon visage ne répondent pas. Je baisse mon arme, un peu gênée par sa réplique cinglante et tellement ironique vue les circonstances. Mes poumons se vident et je fronce les sourcils sévèrement en avançant d'un pas pour jeter un coup d’œil par dessus l'épaule de mon amie. Le soleil a disparu derrière la cime des arbres et les toit des maisons au loin, et de son passage, il ne persiste qu'une faible lueur orangés à l'horizon.  

- Et toi, il faudrait que tu apprennes à ne pas mettre les pieds sur les terres d'Obsidian une fois le soleil couché... parce que celle qui va se faire bouffer, c'est toi! Je lui parle, sans même la regarder. Mes yeux sont trop occupés à balayer les environs, pour m'assurer qu'Autumn est ma seule visiteuse. On en a parlé plus d'une fois pourtant, je t'ai dis qu--- Bien sur, elle n'attend pas d'être invité à entrée et fonce à l'intérieur avec détermination. Réalisant que ma vigilance frôle la paranoïa, je ferme alors la porte et lui emboîte le pas jusqu'à la cuisine, où elle dépose ses sacs sur la table en me dévoilant d'office ses attentes en ce qui à trait à la suite du déroulement de notre soirée. Face à ses paroles, je souris... enfin. C'est exactement ce qu'il me fallait: Autumn, ses bouteilles et son cynisme que je préfère entre tous.  

- Tu rigoles j'espère! Tu sais très bien que j'ai gagné tout les concours de beuverie du royaume... à un âge où je n'étais même pas sensé boire. Dis-je en lui adressant un petit sourire complice, me rappelant une époque lointaine où je devais avoir environ dix-sept ans et où je déconnais un peu avec mon dons, pour prouver que j'étais une vrai dure. Personne ne tolère mieux l'alcool que moi. Terminé-je en lui adressant un clin d'oeil, l'aidant à sortir ses nombreuses bouteilles et cartons.

Maladroitement, je saisis quelques livres qui étaient demeuré sur la table et les empile un peu plus loin, histoire de libérer la surface de travail.

- Désolé pour tout se désordre et aussi pour t'avoir oublié... je suis sur un problème de vampires et il faut dire que ça occupe tout mon temps et mes pensées... Ma voix renferme une note d'amertume. Je pense à Illyria, à ma soeur qu'elle retient prisonnière, à Gyda qui est en danger dans cette ville et même dans cette maison... et je pense à la tuerie de Magnolia Light. Des images sanglantes me lacèrent le crâne. Mais je m'empresse de changer de cap avant d'être submergé. Mes poumons se vident sèchement et je me reprends: Mais pas ce soir! À l'invitation de mon amie, je prends la coupe qui m'est destiné et la lève un peu vers celle qui viens tout juste d'avaler une grosse goulée à la sienne. Je l'imite, mais en prends plutôt quatre grosses gorgées, si bien que je décide finalement de terminer ce qui reste de ma coupe, avant de la déposer sur la table, d'un geste vif.

- Merci autumn, c'est exactement ce que j'avais de besoin...

« Détends-toi princesse Freydis. Tu paranoïdes. Je suis capable de me défendre et je sais surveiller mes arrières. Personne ne m’a suivi, personne ne t’espionne. » Je roulais les yeux face à la panique dans les mots de mon amie. Avec mes années de vécues, je savais que je ne me ferais pas tuer de manière sotte comme pouvait l’amener Freydis. J’étais plus intelligente que cela et même avec une surdose d’alcool, j’arrivais à me défendre. Une fois assise à table, Je m’incline sur la chaise, tête vers l’arrière pour porter ma coupe à ma bouche. Une, puis deux et trois longues gorgées. Mes yeux baissèrent en direction de Frey qui justifiait son parcours avec l’alcool. Je pouffais de rire en me redressant, patte de la chaise désormais revers au sol. « Ouais et bien, si j’aurais été plus impliquée dans ta vie plus tôt, tu aurais beaucoup mieux réussis. Alors, rattrape ce retard tu veux bien. » Je lui souris en buvant également. Mon amie m’expliquait un peu ce qui se passait de son côté et tout ça m’intriguais beaucoup – voir m’inquiétais. « Encore une histoire avec Illyria j’imagine ? Toujours aucune nouvelle de ta sœur ? » Je m’inquiétais beaucoup pour Althea au finale. C’était une bonne amie à moi et ma famille et je savais que ça inquiétait toute la famille. Autant Freydis que Layden tout comme leur mère. J’avais beaucoup de rancune envers ce vampire… et beaucoup d’amour pour cette famille. Depuis que James fut transformé, le chaos semblait leur coller au cul. Je soupirais juste à cette pensée. « Ça tombe bien, c’est également ce que j’avais besoin hein ! » Dis-je en trinquant ma coupe contre la sienne. Je me mis à rire. « J’ai croisé ton frère à Revealdown l’autre jour. Je ne savais pas qu’il commençait à trainer de l’autre côté. » Ajoutais-je pour la mettre au parfum… voir curieuse d’obtenir plus d’information à son sujet. J’avais toujours apprécié Layden. Sa force de caractère, son petit côté naïf, mais mignon. Voir, depuis quelques temps, je semblais toujours attirée vers lui, vers sa compagnie… sauf que je n’osais certainement pas affronter mes ressenties. Layden, je l’avais connu très jeune. Je l’avais vu vieillir, j’avais été présente lors de son propre Harvest. C’était limite, comme un petit frère, je ne pouvais accepter ses sentiments. J’espérais que mes questionnements à son propos n’éveillent aucuns soupçons chez ma copine. Je n’étais pas prête à accepter la réalité, ni à me justifier. Après tout, j’avais parlé de Althea juste avant… « Et ta maman va bien ? » Ouais, j’en faisais trop ? Super louche Autumn….