Eleonor (Nell) Collins
behind these castle walls
| VINGT-DEUX MAI 1983, ma tronche de cake est apparue dans ce monde apocalyptique qui s’avère être RevealDown, Floride, USA. Vous pouvez le calculer au nombre de squelettes dans le placard, je déclare avoir TRENTE-SIX automnes. Puisque que je n’ai pas eu l’occasion de choisir la chaumière dans laquelle je suis arrivé, ma classe sociale appartient à celle des hurluberlus MOYENS. Défais de ce moule, c’est ce qui m’aspire joyeusement à devenir CHIRURGIENNE SPÉCIALISÉE EN PÉDIATRIE que vous avez le malheur de croiser aujourd’hui. Dans les grandes confessions, je peux également vous annoncer que je suis fraîchement divorcée et que l’étiquette de HÉTÉROSEXUELLE se colle à mon front. Qu’est-ce qui me rend si spécial à vos yeux de biche émerveillée ? Bah, voilà POUR L'INSTANT LE SEUL SUPER-POUVOIR QUE JE POSSÈDE, C'EST CELUI DE TRAVAILLER DANS LE DOMAINE DE LA MÉDECINE. Avec tout ça, j’appartiens à la classe des BAD BLOOD et qu’avec tout ça je me vois être AUCUNEMENT AU COURANT. Sans comprendre pourquoi, les gens me comparent à ANTONIA THOMAS. Mais l’habit ne faisant pas le moine, comme on dit ! Je suis de nature spontanée mais je ne veux pas que le choix de mon élément et pouvoir soit un choix du staff. |
Tout d’abord, appelez-moi Nell… pas Eleonor. Juste Nell.
Tous ceux qui me connaissent le savent… je déteste qu’on m’appelle par mon nom complet.
Ceux qui me connaissent savent aussi que je suis un véritable bourreau de travail, constamment en train d’accumuler les temps supplémentaires et même de ramener des dossiers à la maison pour les étudier plus attentivement. Ma profession fait partie intégrante de ma vie et je m’y suis toujours consacré corps et âme. Ce n’est pas par hasard que j’ai choisi de faire carrière en médecine, j’ai toujours été habité par cet important besoin de faire une différence dans la vie des gens et aussi utopique que cela puisse paraitre, j’avais réellement dans l’idée que devenir chirurgienne comblerait mes ambitions de bienfaitrice invétérée. J’allais réparer ce qui est brisé. J’allais soigner ce qui est malade. J’allais sauver des vies! Mais même le meilleur chirurgien doit se rendre à l’évidence et admettre qu’il ne peut tout simplement pas sauver toutes les vies qui lui sont confiées… parfois le combat est perdue d’avance. Le corps humain est fragile et la mort est vicieuse et elle frappe souvent de façon inattendue. C'est l'aspect que je trouve le plus difficile de mon travail...
En outre, je suis quelqu’un d’altruiste et de sensible… surtout sensible à la souffrance et à la peine de ceux qui m’entourent. Comme si j’étais appelé, attiré comme un aimant par ce qui est défectueux, ce qui brisé et en détresse. J’ai une âme de sauveuse. Aider mon prochain est ce qui donne immanquablement un sens à ma vie. Sinon, qui suis-je?
TAKE A BITE OF THIS WORLD WHILE YOU CAN
- C’est une grosse masse…Cette poignée de mots pourrait potentiellement sonner anodin s’ils étaient évoqués dans d’autres circonstances, mais dans le jargon médicale, il s’avère que ce soit généralement de mauvaise augure. Masse, tumeur, leucémie, sarcome, néoplasme, squirrhe, métastase, autant de mots pour désigner incontestablement le même tyran biologique.
Le fléau de notre société.
J’ai nommé… le
putain de cancer.
Le docteur Morales, chef du service de chirurgie et moi-même, examinons attentivement l’écran géant qui nous fait face. Celui-ci nous révèle le résultat d’un scan que j’ai demandé plus tôt en matinée et qui a été effectué avec l’injection d’un agent de contraste. Cette substance augmente artificiellement le contraste lors du scan, nous permettant ainsi de visualiser clairement une structure anatomique que l’on aurait eu du mal à distinguer par rapport aux tissus voisins. Dans ce cas-ci c’est l’intérieur de la cage thoracique d’une gamine de huit ans qui nous intéresse. Romy, qu’elle s’appelle. Elle vient tout juste d’être hospitalisée pour un possible ostéosarcome à la jambe droite et aujourd’hui, nous devions seulement déterminer le stade de la tumeur en effectuant une biopsie. Néanmoins, en l’examinant ce matin, j'ai constaté une diminution du murmure vésiculaire, ce qui m’a poussé à exiger ce scan, en plus de la biopsie déjà prévue au programme. Au fond de moi, j’espérais sincèrement que mes craintes s’avèrent non fondées… mais au finale, c’est encore pire que ce que je craignais
- Peut-être une métastase… ? Jenkins fait une biopsie pour un possible ostéosarcome. Mes poumons se vident d’un faible soupir. On voit clairement la tumeur et ses ramifications s’étendre dans la paroi thoracique de cet enfant. Mes doigts se posent machinalement sur mes lèvres et remuent contre celles-ci, alors que j’analyse attentivement l’image en trois dimensions. J’entreprends de la faire tourner de gauche à droite, puis de haut en bas, afin de constater l’étendue de ses meurtriers secrets dévoilés au grand jour.
Qu’en pensez-vous… ? Je finis par demander en pivotant légèrement en direction de mon supérieur. J'aimerais entendre quelque chose de ridiculement positif, mais je sais indubitablement qu’il n’en sera rien.
- C'est très invasif… Laisse-t-il tomber d’une voix grave, pour attaquer le vif du sujet.
Vous ne parviendrez pas à retirer cette tumeur sans l'avoir réduite d’abord. Il secoue machinalement la tête, les bras solidement croisés devant son torse. C'est d'ailleurs à cette hauteur que se trouve mon regard, ce qui me pousse continuellement à incliner la tête lorsque je m'adresse à lui. Sombre destin d’une personne de petite taille telle que moi. Mes yeux bifurquent à nouveau vers l’écran et j’acquiesce, tout en me mordant le coin de la lèvre inférieure.
- Oui, la tumeur est trop vascularisée, même une biopsie serait risquée… Et si elle ne répond pas à la chimio, on doit trouver une approche chirurgicale efficace qui ne lui sera pas fatale… Je serre les dents à cette idée, mais je ne me laisse pas distraire par cette sombre pensée plus de trois secondes.
On doit être aussi agressifs que ce cancer.* * *
- Collins, que s’est-il passé, racontez-moi!! Le chef Morales débarque en trombe dans la chambre alors que deux infirmières m’assistent déjà autour du lit de la petite Romy. La machine à son chevet s’affole dans une symphonie de bips sonores alarmants et l'une des aides-médicales à la merveilleuse idée de l’éteindre, afin de nous épargner cette cacophonie qui nous bourdonne encore comme un écho dans les oreilles, même une fois évanouie. Elle se dirige ensuite vers la patiente et entreprend de la ventiler manuellement, tandis qu'une autre arrive avec un chariot médicale et me tend le bistouri que je lui ai demandé. J’ai libéré un pan de la couverture bleu recouvrant la jeune fille pour me donner accès à un endroit stratégique de sa cage thoracique, dont la peau vient d'être fraichement aseptisée.
- Elle était en hypotension, inconsciente et sans murmure vésiculaire à gauche quand je suis arrivée… Je vais drainer son pneumothorax. Sur ces mots, je me penche immédiatement au-dessus du lit afin d’être à la bonne hauteur et j’effectue avec précision une légère incision entre deux côtes.
- D’accord… il va falloir l’intuber… Lance-t-il à l’attention des infirmières pour qu’elles lui donnent le matériel nécessaire. Il attrape donc le laryngoscope et introduit minutieusement le dispositif tubulaire dans la trachée de la patiente, alors que je m’affaire de mon côté à insérer le drain thoracique dans la cavité pleurale… mais avant de connecter le drain à la valise d’aspiration, une giclée de sang jaillit du petit tuyau. Mes yeux s’écarquillent, mais je garde mon calme d’emblée. Je m’empresse alors de terminer de connecter le tout, remarquant l’importante quantité de liquide rouge vermeille qui se faufile dans les tubes translucides formant des arabesques sur le lit, jusqu’à la machine.
- D’où proviens tout ce sang d’après vous… ? Mes sourcils se froncent d'un air dubitatif et franchement inquiet, alors que je termine ma besogne en installant un pansement hermétique.
- Peut-être d’une rupture tumorale, on doit l’emmener au bloc tout de suite. Déclare le docteur Morales de sa voix grave dans laquelle on dénote facilement toute l’urgence de la situation.
Dépêchez-vous… Lance-t-il au groupe, alors que tout le monde s’active à transférer la patiente en salle de chirurgie. Honnêtement, je ne pensais pas l’y emmener de sitôt. Ce n’était pas comme ça que les choses étaient sensées se dérouler... du moins, dans le meilleure des mondes. Mais je devrais être habitué… ce genre de surprise empoisonnée fait immanquablement partie de notre quotidien de chirurgiens. Et le meilleure des monde est un fantasme trop souvent inaccessible.
* * *
Une opération demeure un acte médical comprenant un certain lot de risques. Même la plus banale des interventions peut mal tourner si tout ne se passe pas sans le moindre accros. Et le corps humain a un de ces chics pour nous réserver un tas de surprises en cours de route. Alors on peut facilement imaginer les statistiques exploser lorsqu’on se retrouve avec une jeune patiente, en pleine hémorragie interne, aux prises avec une tumeur béante au creux de la poitrine.
DÉBUT DU FLASHBip bip bip bip bip bip bip bip bip bip bip bip bip….
Encore une machine qui s’emballe.…..
Celle-ci nous indique que nous sommes en train de perdre notre patiente.
Son coeur est en train de lâcher… et bientôt ce sera tout le reste si nous n’agissons pas!
- Fébrilation, je commence le massage cardiaque!! Lance le docteur Morales en commençant à masser manuellement le cœur de la jeune patiente. Le mien s’emballe comme un malheureux, alors que je me défais de mes instruments et tend rapidement les mains devant moi, pour qu’on me donne les palettes de défibrillation.
- chargez les palettes à dix!!! Je la supplie intérieurement de rester avec moi.
- DÉGAGEZ !FIN DU FLASHJe sors à l'extérieur de l'hôpital et laisse derrière moi l'air frais et stérile de ce monde médicale, où je dois constamment demeurer empreins d’un calme et d’un sang-froid plus qu’exemplaire. La porte se referme lourdement derrière moi et je me retrouve aussitôt assiéger par une puissante vague de chaleur, propre au climat Floridien. C’est toujours aussi surprenant de constater le contraste. Je me trouve à l'arrière du Oceanside Memorial Hospital, là où les camions laissent généralement les cartons de livraisons. C'est un endroit calme, où il m’arrive de m'isoler de temps à autre, lorsque j’ai envie d’être un peu seule. Ce qui est présentement le cas. Je serre les dents, espérant contenir la rage qui est en train de monter en moi comme de la sève… mais mes efforts sont vainc. J’ai le goût de fracasser quelque chose. Et pourtant ce n’est pas moi. Je ne brise pas moi, je répare, je soigne, je prends soin… alors pourquoi cette envie de tout démolir?
DÉBUT DU FLASHBiiiiiiiiiiiiipppppp………..
- Allez, accroche toi… Dis-je avec un léger trémolo dans ma voix qui tente de paraître professionnel malgré la palette d’émotion qui me barbouille. Je lance un regard au moniteur. Toujours aucun rythme cardiaque.
Chargez à vingt… on dégage… !!!FIN DU FLASHMais qu’est-ce que je dis là!? Je sais parfaitement pourquoi je suis dans tous mes états! J’essaie simplement de me voiler la face, de faire comme si tout allait bien. Parce que c’est tout ce que je connais. Demeurer calme pour être efficace en situation de crise. Ne pas alerter les patients ou les proches avec un visage déformé par les traits de la panique, toujours maîtriser ses émotions. À chaque fois, au boulot, pour ne pas perdre mes moyens quand ça tourne mal, je prends mes émotions néfastes et je les isole. J’édifie des murs tout autours… puis s’ils dégringolent, je m’affaire immédiatement à les remplacer. Et je continue ainsi jusqu’à ce que mes pensées soient claires, limpides. Souvent je me dis que plus tard je reviendrai sur ces émotions repoussées s’il le faut… mais trop souvent je les laisse mourir dans un coin reculer de mon esprit. Pare que dans le monde médicale il faut avancer, s’activer, aller de l’avant. Mon dos s’appuie mollement contre la porte derrière moi, pendant qu’une de mes mains tremblante glisse le long de ma joue, monte vers mon front et s’immisce dans ma chevelure crépue. Mes paupières se ferment si fort que la peau au coin de mes yeux se plisse de dizaines de lézardes, donnant l’impression de craqueler en mille morceaux la porcelaine impénétrable de mon visage de chirurgienne exemplaire. Mais là, maintenant, je ne suis pas le docteur Collins. Je suis juste Nell. Une Nell qui s’avoue épuisée l’espace de quelques instants. Voilà! Tous les murs s’effondrent un à un alors que je vois l’avalanche de désastres déferler sur le petit monde stérile que je me suis construit.
DÉBUT DU FLASHBiiiiiiiiiiiiipppppp………..
- Allez… allez… reste avec moi Hailey… Je supplie cette petite fille qui veut s’en aller trop tôt. Ne rend pas les armes, je sais que tu peux encore te battre.
- Chargez… - Nell…- Dégagez…Le cancer est agressif et sournois, mais nous sommes capables d’être plus malines que lui. Je le sais…. fais-moi confiance. Accroche toi, ne m’abandonne pas.
Biiiiiiiiiiiiipppppp………..
- Nell…. C’est finit…FIN DU FLASHRomy est morte aujourd’hui. Elle a succombé à une hémorragie interne due à une rupture de l’aorte. Son petit corps était faible et rongé par le cancer. Nous avons hélas fait tout ce que nous avons pu. Mais c’est toujours difficile à concevoir.
Toutefois dans la salle d’opération c’est à Hailey que j’ai demandé de rester avec moi…
Hailey… son prénom évoque toujours le trou béant qu’elle a laissé dans ma poitrine.
Une partie de moi qu’on m’a arraché.
Ma fille…
Il y a des choses qui nous rattraperons toujours...
peut importe le nombre de murs que l'on bâtit autour pour l'emprisonner.